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Bellefleur – Joyce Carol Oates

Bellefleur

Bellefleur, roman écrit par Joyce Carol Oates en 1981 est un pavé : 971 pages chez Poche.

Bellefleur

Un roman compliqué et intriguant.

Joyce Carol Oates explique souvent que ce roman a été pour elle une expérience compliquée. Difficile. Quand elle en parle on sent le tourment qui l’anime encore. Il l’a littéralement possédée. Et elle n’hésite pas à le qualifier elle-même de « monstre ».

On ne peut que la croire à la lecture de Bellefleur.

L’histoire

Je ne me risquerai pas à tenter de vous résumer cette saga familiale. La seule chose qui puisse être dite de l’intrigue, c’est que nous suivons, de manière décousue les nombreux membres de la famille Bellefleur au rythme de ses pérégrinations actuelles et passées.

À la lecture du roman on sent que le passé familial hante toujours la famille et, d’une manière inconsciente, dicte encore ses comportements.

Trop nombreux ou pas assez profonds, les personnages ne me semblent pas suffisamment attachants.

Le roman aborde une série de thèmes intéressants, à l’image du roman : foisonnants. La société, le matérialisme, la religion, les influences familiales, …

Une forme chaotique

Le style ainsi que la narration sont assez compliqués. Ils ont tous deux un côté labyrinthique peut-être poussé un peu trop loin.

La forme narrative

Ce chaos se retrouve d’abord dans la narration. Les époques et les personnages se mélangent et se chevauchent. Si ce procédé dynamise la lecture, malheureusement il est peut-être un peu trop chaotique et le lecteur a parfois du mal à s’y retrouver.

Sans l’arbre généalogique au début du roman, le lecteur ne peut pas s’en sortir. Et, comme certains personnages portent le même nom, il n’est même pas toujours suffisant. Il faut donc parfois lire plusieurs pages d’un chapitre avant de comprendre de qui on parle et à quelle époque on se situe.

Le style

Le style est lui aussi foisonnant et désordonné. Les phrases sont longues, souvent entrecoupées de parenthèses. Par conséquent, le lecteur est trop souvent obligé de reprendre le début de la phrase pour pouvoir y rattacher le verbe et le complément qui viennent en bas de page.

Cette forme désordonnée exige un peu de patience de la part du lecteur. Il faut le savoir avant d’en commencer la lecture.

Un tour de force malgré tout

Malgré tout, Bellefleur crée une atmosphère inquiétante. Peut-être une des plus particulière qu’il m’ait été donné de lire.

Surtout au début du roman, certaines images et certains personnages semblent littéralement s’incruster dans le cerveau. Accompagnent le lecteur au-delà de sa lecture. Elles imprègnent littéralement l’imaginaire du lecteur. Et ce, d’une manière qui m’a semblé assez incompréhensible. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de se demander si une épuration de la forme, qui aurait rendu la lecture plus agréable ou plus facile, n’aurait pas déforcé ces impressions fortes que produit le roman.

Quoi qu’il en soit, les sensations que crée cette atmosphère excusent amplement la forme tourmentée du roman.

Selon moi, c’est le plus grand tour de force de Bellefleur.

Une intrigue un peu bâclée

Malgré cela, et probablement grâce à cette atmosphère, les pages se tournent assez facilement.

Malheureusement, dans l’ensemble, j’ai trouvé l’histoire décevante. Parce qu’elle ne parvient pas à se maintenir sur ce fil tendu, à la frontière du surnaturel. Bellefleur finit par verser dans le fantastique, ce qui me semble déforcer le roman. D’abord parce qu’il perd en crédibilité, ensuite parce qu’il a tendance à anéantir le mystère. Il réduit ainsi la part de co-création du lecteur puisqu’il réduit la place laissée à son propre imaginaire dans la création du récit et l’interprétation du mystère.

Pour conclure

Bellefleur est un roman intriguant à l’atmosphère incontestablement gothique.

Sa forme chaotique participe probablement à la réussite de cette atmosphère inquiétante qui ne quitte plus le lecteur. Calculé ou pas, et quelles que soient les difficultés de lecture que ce chaos engendre, c’est un vrai tour de force.

On est d’autant plus déçu que l’histoire ne parvienne pas au même résultat. En dépassant le mystère par des phénomènes ouvertement surnaturels, le fond ne parvient pas à se hisser à la hauteur de la forme. Pire, au fur et à mesure que le lecteur avance dans le roman, le surnaturel a tendance à déforcer tout l’inquiétude que la forme avait réussi à créer.

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Villette – Charlotte Brontë

Villette, publié en 1853, est moins connu que Jane Eyre. Chose étrange s’il en est, tant ce roman me semble sinon le surpasser, à tout le moins l’égaler.

En ce qui me concerne, j’ai largement préféré Villette à Jane Eyre.

Le roman est assez long (710 pages chez Archipoche). Cependant, si vous aimez ce genre d’histoire, nul doute que vous le trouviez trop court.

L’histoire

Villette est le nom d’un village francophone généralement assimilé à Bruxelles, où Lucy Snowe échoue après quelques pérégrinations familiales.

Lucy Snowe est une jeune anglaise qui ne parle pas un mot de français et qui parvient à se faire engager dans un pensionnat de jeunes filles.

Protestante dans une ville papiste, isolée au milieu de gens avec lesquels elle ne partage ni la langue, ni les mœurs, ni la foi, elle se sent incomprise. Ne trouve pas sa place.

Lucy Snowe nous raconte son histoire comme elle le ferait à son journal, nous confiant ses états d’âme dans tout ce qu’ils peuvent avoir de plus torturé et de contradictoire.

Certes, il ne s’agit pas d’un roman d’aventure. Villette est plus un roman psychologique. L’aventure de Villette est celle d’une âme humaine.

Mais qu’est-ce qui, dans la vie ordinaire de Lucy Snowe, peut bien la tourmenter? Ce qui nous tourmente tous. L’amour, nos relations sociales, notre rapport au monde et à la vie.

Il ne s’agit pas pour autant d’un roman contemplatif, même si Lucy Snowe expose par moments des scènes de sa vie comme si elle en était elle-même absente.

Un retrait qui contraste d’ailleurs avec la violence et l’importance que prennent à certains moments ses états d’âme contradictoires. Contraste qui rend le roman extrêmement vivant et qui, peut-être participe à la facilité avec laquelle les pages se tournent.

Romantisme Anglais

On retrouve dans Villette toutes les caractéristiques du romantisme anglais, notamment par l’attention portée aux sens :

« La vie reste toujours la vie, quelles qu’en soient les angoisses et nous sommes toujours en possession de nos yeux et de nos oreilles, la perspective de ce qui nous plaît et le son de ce qui nous console fussent-ils abolis »

Villette – Charlotte Brontë

La morosité du pensionnat et les états d’âme tourmentés de Lucy Snowe créent en effet une atmosphère sombre sans toutefois être sinistre. À la fois passionnée et paisible. Cette atmosphère pourrait être décrite avec les mots mêmes du roman : « une demi-obscurité » qui fait « l’effet d’une caresse pleine de pitié« .

Enfin, quoique le lecteur n’ait que le point de vue de Lucy Snowe pour aborder son histoire, Villette ne prétend à aucune vérité.

Non seulement le roman assume qu’il n’expose qu’un seul point de vue, mais les états d’âme contradictoires de Lucy Snowe renforce également cette idée qu’il n’y a pas de vérité. Qu’il n’y a que la vie telle que nous la ressentons. Et la nécessité pour Lucy Snowe, comme pour chacun d’entre nous, de créer son propre rapport au monde.

Les personnages

Les personnages de Villette sont profonds, crédibles et attachants.

Mais la force des personnages de Villette va plus loin. Villette ne se limite pas à nous présenter une palette de personnages bien construits. Le roman parvient à changer progressivement le regard du lecteur sur ces personnages.

Si les personnages, comme dans tout bon récit, évoluent au fil de l’histoire, une part importante de ces évolutions se situent surtout non seulement dans le regard de Lucy Snowe, mais également dans celui du lecteur.

Le lecteur se surprend ainsi à aimer des personnages qu’il n’appréciait pas particulièrement au début du roman.

Charlotte Brontë parvient à nous rendre aimables des personnages pour lesquels elle avait commencé par éveiller chez le lecteur un brin d’antipathie.

Un individu qui, au début de l’histoire, nous paraissait déplaisant, colérique ou rigide se transforme progressivement en comparse aimable et chaleureux (et vice versa). Et cette évolution n’est pas une transformation du personnage lui-même, mais bien un élargissement de la connaissance du personnage. La découverte progressive de sa complexité.

En cela, Villette nous montre comment notre regard sur les gens peut se modifier et surtout que l’impression qu’ils nous font est avant tout une création personnelle qui n’a peut-être que très peu de choses à voir avec ce qu’est véritablement la personne que nous enfermons dans nos impressions.

Une belle remise en question de sa propre subjectivité donc que le texte du roman ne contredit pas :

« Combien de caractères différents et contradictoires ne nous attribue-t-on pas, selon que nous jugent les uns et les autres. »

Villette – Charlotte Brontë

Cyclothymie

Lucy Snow est indépendante, passionnée, exigeante, intelligente. À l’image des sœurs Brontë telles qu’on se les représente aujourd’hui.

Villette

Ambiguë aussi. Tantôt rigide, tantôt sensible. À la fois discrète, presqu’effacée et en même temps orgueilleuse. Cette ambiguïté la rend particulièrement attachante.

D’aucuns diront que cette ambiguïté cache peut-être, derrière une apparence effacée et calme ce qu’on appellerait aujourd’hui un trouble cyclothymique. Trouble que l’on a tendance à attribuer à Charlotte Brontë elle-même. Tantôt résignée, désespérée, tantôt révoltée et plaine d’espoir.

Si la cyclothymie est considérée comme un trouble psychologique, qui n’a toutefois jamais alterné entre joie et tristesse ? La vie elle-même n’est-elle pas constituée d’alternance de plaisirs et de souffrances ?

Est-ce Lucy Snowe et Charlotte Brontë qui présentent un trouble cyclothymique ? Ne serait-ce pas plutôt un trouble inhérent à la vie elle-même ? Car en effet, comment pourrait-on connaitre la joie sans avoir connu la tristesse ? La cyclothymie que l’on catégorise aujourd’hui comme trouble mental n’est-elle pas l’expression même de la vie ?

Vous me direz que tout est question de degré. Et vous aurez probablement raison.

D’autant que je suis mal placée pour me permettre une telle considération puisque cette vision cyclothymique de la vie est probablement liée à mes propres troubles. Je n’ai toutefois aucun moyen de le savoir.

Quoi qu’il en soit, il me semble qu’aucun lecteur ne pourra pénétrer les états d’âme de Lucy Snowe sans entendre l’écho de ses propres tourments.

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À nos membres fantômes : Synopsis et publication

A nos membres fantômes

À nos membres fantômes est le titre de mon roman. Roman que je terminais ce 5 janvier 2019, à 14h.

La photo que vous voyez mise ici en avant pour illustrer mon article est la photo d’un merveilleux photographe belge : Norbert Ghisoland, encore un artiste méconnu, et c’est dommage. Je vous invite à aller voir ses photos, on en trouve beaucoup sur Internet, ça vaut le détour. Comme me l’a fait remarquer son petit-fils, il était injuste de ma part de ne pas l’avoir mentionné, d’autant que je l’admire beaucoup.

La fin d’une aventure, le début d’une autre …

L’impression est étrange. Certes. Terminer un projet qui vous suit depuis si longtemps procure de la joie, mais c’est une joie mélangée. Un peu triste. Peut-être comparable à un « baby blues », je ne sais pas.

Peut-être parce que notre histoire est presque finie, mais aussi à cause de tout ce que j’ai l’impression de ne pas avoir pu accomplir. En cours de projet, il faut faire son deuil de certaines idées, de certaines phrases voir de certains chapitres entiers, pour le bien du projet qui seul compte. Sur le moment, pris dans le roman on ne s’en rend pas tellement compte. Mais quand on décide que c’est fini, toutes ces choses restent avec vous sur le quai de la gare pour regarder le roman prendre sa route. On regrette à la fois de voir partir son compagnon mais aussi de le voir abandonner certaines valises qui restent à vos côtés.

J’ai terminé mon roman, je ne vais tout de même pas déprimer. Hop hop hop, on se reprend.

Et puis quand je dis que j’ai terminé, c’est un grand mot. Il y a encore un travail d’édition à faire, c’est certain.

À nos membres fantômes : synopsis

Le genre

Si vous êtes un peu familiarisé avec ce site, vous devez commencer à connaître ou en tout cas à deviner mon univers.

Donc, si vous avez lu mon article sur le romantisme anglais, vous vous doutez qu’ « À nos membres fantômes » est une histoire. Pas de la poésie ni une sorte d’analyse comtemplative et encore moins de la littérature performative.

Parce que, comme je l’ai déjà expliqué, j’aime bien les histoires.

Concernant le genre, vous vous doutez également que vu ma sensibilité pour le gothique, j’envisage ‘ »À nos membres fantômes » comme un roman gothique moderne.

C’est à dire une histoire qui n’est ancrée ni tout à fait dans le réel ni tout à fait dans le fantastique. Une histoire qui tente de se tenir en équilibre à la frontière du surnaturel, de l’inexplicable.

L’histoire

Vous ne trouverez donc aucun personnage fantastique, ni dragon ni licorne, ni super héros en pyjama. Le personnage principal d' »A nos membres fantômes« , Catherine, est une femme tout à fait « normale ». C’est à dire qu’elle n’a rien d’une extraterrestre.

A nos membres fantômes

À propos du titre

« À nos membres fantômes » fait une allusion intéressante à ce phénomène intriguant du membre amputé que l’on continue néanmoins à ressentir.

A nos membres fantômes

Il ne s’agit bien entendu pas ici d’amputation. Dans mon titre, les membres visent évidemment la famille. Qui, comme notre corps se compose de membres. Je trouve la comparaison intéressante, à cause de la question qu’elle soulève. Peut-on transposer le phénomène du membre fantôme à la famille? Question qui m’accompagne depuis le début de l’écriture de ce livre.

Un autre élément que je trouve intéressant avec ce titre, c’est qu’il montre qu’un même mot peut avoir des sens différents. Qu’il peut donc être manipulé. Instrument de pouvoir ou de malentendu.

Découvrez « À nos membres fantômes »

Vous pouvez découvrir gratuitement les premiers épisodes sur la plateforme Read&Rate dont je vous ai parlé dans un autre article.

Sinon, vous le trouverez à La Librairie La Licorne à Uccle que je remercie vivement pour son soutien. Vous pouvez également le commander sur Internet via les liens ci-dessous :

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Mauprat – George Sand

Mauprat George Sand

Mauprat, dont l’action se situe au 18ème siècle n’est pas un long roman. 434 pages aux éditions folio classique.

Mauprat George Sand

Il aborde des thèmes tels que l’éducation, le féminisme, mais encore, l’égalité. Thèmes qui, on le sait, sont chers à George Sand.

Le roman est ce qu’on appelle protéiforme.

Roman d’amour, roman d’apprentissage, et même, diront certains, roman gothique (avis que je ne partage pas tout à fait comme vous le verrez ci-dessous).

L’histoire

Les Mauprat se partagent en deux branches. L’une honorable, l’autre terrifiante, surnommée d’ailleurs les Coupe-jarret. Des bandits reclus dans leur château sombre et délabré. Débauchés, vivant comme les plus ignobles seigneurs du Moyen-Âge, ne payant ni leurs gens ni leurs dettes et ne reculant devant aucune vilenie pour faire régner la terreur.

Bernard, qui nous raconte son histoire, a été recueilli enfant par les Mauprat Coupe-jarret et va donc grandir entre terreur et violence.

Dès le début du roman, et quoique Bernard fasse preuve d’une grande sévérité envers lui-même, on sent qu’il s’est toujours senti en décalage avec les Mauprat Coupe-jarret. N’ayant toutefois aucun modèle de comparaison, il s’est développé sans prendre conscience de la violence atypique de cette famille. Imaginant que cette manière de vivre était une chose tout à fait normale.

Souvent maltraité, sans personne pour cultiver en lui aucune valeur, il a fait comme il a pu pour survivre. Devenant lui-même brusque et intempérant. Sauvage.

Un jour, les Mauprat Coupe-jarret ramènent au château Edmée, leur cousine issue de la branche honorable de la famille. Alors qu’ils se réunissent pour discuter de son sort, qu’on imagine peu enviable, elle se retrouve seule avec Bernard. Interpellée par la complexité de Bernard, à la fois différent des Coupe-jarret et en même temps emporté et violent, elle tente de l’amadouer pour le convaincre de l’aider à s’enfuir. Bernard, complètement fasciné par cette femme, accepte, à condition qu’elle lui promette de l’épouser.

Pendant qu’ils prennent la fuite, les secours assiègent le château et les Coupe-jarret périssent. 

Bernard est accueilli par Edmée et son père. Il vont le choyer comme un fils, et tenter de l’éduquer.

Bernard rappelle à Edmée sa promesse, mais cette dernière pose son éducation comme condition au mariage.

Influence gothique

On caractérise souvent ce roman de gothique.

Néanmoins, hormis les scènes qui se déroulent dans le château de la Roche-Mauprat qui effectivement est à la fois effrayant et inquiétant, le roman n’est pas en tant que tel « gothique ».

Le reste du roman qui se concentre presqu’exclusivement sur l’éducation de Bernard et l’évolution de sa relation avec Edmée relève plus du romantisme que du gothique. Notamment par la présence importante de la nature dans cette partie du roman et par son aspect plus « contemplatif ».

L’aventure y est également moins développée. On pourrait penser que cette alternation de style engendrerait un déséquilibre, mais George Sand parvient malgré tout à maintenir le lecteur en haleine.

Si le roman est-ce qu’on appelle un roman protéiforme, il me semble toutefois que ce qui domine, c’est l’évolution de Bernard. À ce titre, il me paraît plus opportun de qualifier Mauprat de roman initiatique que de roman gothique.

Roman initiatique

Le thème central abordé par George Sand est indubitablement l’éducation.

Mauprat, c’est avant tout l’histoire d’une humanisation. Humanisation qui, pour George Sand passe nécessairement par l’éducation.

On le sait, George Sand était une fervente admiratrice de Jean-Jacques Rousseau et de son « Emile ». Le roman est empreint de cette influence.

La conception de George Sand telle qu’elle est développée dans Mauprat se distingue toutefois de la thèse de Jean-Jacques Rousseau en ce qu’elle estime qu’un homme n’est ni bon ni mauvais de nature et que seule l’éducation peut le sauver de mauvais instincts ou penchants.

Ce qui ressort également de Mauprat, c’est que George Sand n’envisage pas l’éducation je dirais « ex cathedra », à savoir une éducation froide, impersonnelle. Comme un fichier ou une rame mémoire qu’il suffirait de s’implanter. Non. Pour George Sand, l’éducation nécessite un développement intérieur. Une digestion. Mais aussi une contemplation et une analyse de notre propre fonctionnement. Analyse rendue possible par l’éducation. En d’autres termes, si l’éducation n’est pas suffisante, elle est toutefois nécessaire.

Et on le ressent très bien dans le roman. Bernard acquiert rapidement les rudiments de l’éducation classique. Lire, écrire, étudier les grands philosophes, mais cet apprentissage seul ne lui permet pas de devenir meilleur, plus humain.

Après cet apprentissage, il lui faut encore faire un travail d’introspection, d’intégration des valeurs que l’éducation lui a dévoilées. Il doit en quelque sorte les faire siennes. Et pour les faire siennes, il doit s’interroger sur lui-même. Remettre ses réactions et ses émotions en question.

Féminisme

Edmée, personnage central de Mauprat incarne toutes les idées féministes de George Sand.

Non seulement c’est une jeune femme audacieuse, intelligente, persévérante, mais en plus elle n’hésite pas, malgré son rang et son époque, à défendre des idées d’égalité et d’humanisme.

Elle exige de Bernard qu’il aille toujours plus loin dans son éducation. Intransigeante, elle le pousse dans ses derniers retranchements pour faire de lui un homme toujours meilleur.

Pour conclure

Mauprat aborde des sujets relativement sérieux au travers d’une histoire captivante, pleine d’aventures avec des personnages crédibles et bien construits dont certains, quoique secondaires sont particulièrement singuliers et attachants.

En mêlant plaisir et réflexion, George Sand nous prouve que ce qui est distrayant et agréable peut être intelligent.

Sa vision est par ailleurs profondément humaniste et positive et en ces temps de crise, inutile de dire que ça fait du bien. Jugez-en par vous-même :

« C’est une grande question à résoudre que celle-ci : « Y a-t-il en nous des penchants invincibles, et l’éducation peut-elle les modifier seulement ou les détruire? » Moi, je n’oserais prononcer; je ne suis ni métaphysicien, ni psychologue, ni philosophe; mais j’ai eu une terrible vie messieurs; et, si j’étais législateur, je ferais arracher la langue ou couper le bras à celui qui oserait prêcher ou écrire que l’organisation des individus est fatale, et qu’on ne refait pas plus le caractère d’un homme que l’appétit d’un tigre.

Un classique que je recommande donc au plus grand nombre.

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Romantisme anglais

Romantisme anglais

Le romantisme anglais qui se développe de 1789 à 1837 est en réalité un mouvement presqu’exclusivement poétique.

Les défenseurs du romantisme à cette époque estimaient généralement que la poésie seule était apte à porter leur projet.

Je ne vous parlerai toutefois pas ici de poésie. Bien que les œuvres poétiques des romantiques anglais soient considérables.

Considérations personnelles sur la poésie

Je suis en effet une adepte des histoires. J’ai besoin qu’on m’en raconte et c’est pour ça que j’en raconte moi-même.

Vous me répondrez peut-être qu’à sa manière, la poésie raconte des histoires.

Evidemment. Tout dépendant de ce qu’on entend par « histoire ».

Si dans un roman j’aime à me faire surprendre par un style, la beauté d’une phrase, ou des verbes atypiques, dans l’ensemble, j’ai besoin d’oublier complètement que je suis occupée de lire un livre. De me retrouver au plus près des personnages, à leurs côtés, m’y confondre presque et vivre leurs aventures.

Il s’agit certainement pour certains d’une lecture « facile ». Il est vrai que je ne suis pas particulièrement sensible à la beauté du verbe pour elle-même et aux phrases qu’il faut parfois relire plusieurs fois pour en comprendre (ou pas) le sens.

Une lecture plus facile, peut-être. Je n’ouvre pas un livre pour faire volontairement une étude intellectuelle de telle ou telle chose. J’ouvre un livre pour lire une histoire qui, incidemment me fera peut-être, et plus que certainement si c’est un bon livre, m’interroger sur ces mêmes choses.

Il s’agit donc de deux choses différentes, mais qui selon moi se valent. En effet, comme je le disais dans mon article sur la fiction, les histoires qui m’emportent m’humanisent autant qu’une réflexion laborieuse sur des mots le sens de l’association semble toujours m’échapper.

Donc, mea maxima culpa, je ne suis pas particulièrement sensible à la poésie. Evidemment, les choses ne sont jamais si tranchées et il m’arrive bien entendu d’être profondément touchée par la poésie malgré tout.

Je n’y suis toutefois pas portée naturellement. Chacun sa sensibilité.

Donc ce qui m’intéresse dans le romantisme anglais ce sont les romans.

Le romantisme anglais et le roman

Il faut rappeler que l’intérêt pour le roman en Angleterre ne se développe véritablement qu’à l’ère victorienne. Après la période romantique proprement dite.

Peut-être une autre raison qui explique que la période romantique se caractérise surtout par la poésie

Il y eut pourtant des romans écrits durant cette période. Romans qui généralement étant donné les affinités entre le romantisme et le gothique mêlent parfois les deux genres.

C’est le cas du roman d’Ann Radcliffe, Les Mystère d’Udolphe, roman gothique par excellence, écrit durant cette période et que l’on considère comme précurseur du romantisme.

On retient toutefois encore parmi les romanciers de la période romantique :

Romantisme anglais
  • Sir Walter Scott ;
  • Jane Austen qui bien qu’ayant vécu durant cette période se situe toutefois en dehors du romantisme par son réalisme. Réalisme qui annonce d’ailleurs l’ère victorienne (1837-1901) durant laquelle le romantisme cèdera la place au réalisme (avec des sujets notamment centrés autour de l’étude des mœurs et des relations sociales) 
  • Mary Shelly qui se rapproche, elle, fortement du roman gothique

Pour le reste, il semble que le romantisme se soit affirmé dans le roman bien après la période romantique. Notamment avec les œuvres des sœurs Brontë.  Œuvres dans lesquelles l’influence gothique se fait également sentir. Particulièrement dans La Dame du manoir de Wildfell Hall d’Anne Brontë et dans les Hauts de Hurlevents d’Emily Brontë.

Le romantisme et le gothique

Les romantiques ont été largement influencés par le genre gothique.

Il faut dire que les deux genres partagent beaucoup de leurs caractéristiques.

Tout deux s’opposent à la raison au profit de l’intuition, de la passion, avec un goût marqué pour le passé, la nature et une certaine forme d’exotisme.

L’idée étant que l’obscurité peut être aussi aveuglante que la lumière. Et que la vérité ne se trouve pas toujours bien éclairée par des lampadaires.

Les deux genres assument dès lors un goût pour le mystérieux et l’inexplicable.

On trouve également dans le romantisme, comme dans le gothique, une revalorisation de l’imagination. De son pouvoir et de son importance.

Parce que nous devons créer notre propre rapport au monde, et que cette tâche ne se conçoit pas sans l’imagination.

Comme vous le constatez, on retrouve presque tous les éléments ru roman gothique dans le romantisme. 

Ce qui distingue les deux genres, c’est principalement la manière dont ils vont mettre en scène ces éléments. 

Ils expriment l’un et l’autre le mystère d’une manière sensiblement différente.

Le gothique optera pour une ambiance inquiétante là où le romantisme préférera la nature. Et, quoique les deux styles jouent sur l’atmosphère, elle sera généralement moins inquiétante, plus paisible dans le romantisme.

En guise de conclusion

Pour conclure, je dirais que le romantisme anglais nous rappelle qu’on a beau tenter de nous simplifier la vie en essayant de l’enfermer dans des cases, elle finit toujours pas en déborder.

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La Peau de chagrin – Honoré de Balzac

La Peau de chagrin, publié en 1831, fait partie de la grande œuvre de Blazac : la Comédie humaine.

La Peau de chagrin - Honoré de Balzac

Contrairement au reste de son œuvre, La Peau de chagrin avec Melmoth réconcilié est un roman fantastique.

Le roman n’est pas très long : 375 pages aux éditions Folio classique.

L’histoire

Raphael projette de se suicider. Il erre dans Paris en attendant la tombée du jour pour se jeter dans la Seine et se retrouve dans la boutique d’un antiquaire.

Dans la boutique, Raphael est attiré par une Peau de chagrin. L’antiquaire, personnage aussi intriguant que sa boutique, le met en garde contre cette Peau maléfique qui le pouvoir d’exaucer tous vos vœux mais qui resserrera « le cercle de vos jours, figuré par cette Peau».

Le vieillard prévient Raphael :

« Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit. (…) Qu’est ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ? ».

Or, la Peau de chagrin c’est le pouvoir et le vouloir réunis.

Raphael n’y croit pas. Il brave le vieil antiquaire, s’empare de la Peau en lui jetant, en guise de provocation, une série de souhaits exorbitants.

La soirée de Raphael suit son cours, et, progressivement, ses souhaits semblent se réaliser. Au début, il n’y voit que coïncidence. Mais quand un notaire lui annonce qu’il vient d’hériter d’une fortune colossale, il se met à douter.

Conscient que chacun de ses désirs le mènera dorénavant à sa mort, il tente une réclusion volontaire. Limitant le plus possible ses envies et ses souhaits. Ne vivant pour ainsi dire plus.

Pourtant il est tiraillé : faut-il vivre, laisser libre cours à ses désirs, ses passions et sentiments et courir à sa mort ou faut-il renoncer à la vie, se limiter à un état végétatif pour tenter de prolonger sa vie ?

Il est intéressant de constater la transformation de Raphael qui, au début du récit, souhaite se suicider et, en fin de récit tente tout ce qui est possible pour se maintenir en vive, quitte à remplacer la vie par l’existence. Quitte à vivre en étant déjà mort.

Influence

Balzac s’est largement inspiré de l’œuvre de Charles-Robert Maturin, « Melmoth », pour écrire la Peau de chagrin.

Melmoth est un roman gothique qui semble avoir fasciné Balzac qui l’estimait d’ailleurs « égal et par endroits supérieur au Faust de Goethe ».

L’influence se ressent toutefois plus dans le sujet choisi par Balzac que dans la forme.

Hormis les scènes qui se déroulent dans la boutique d’antiquité, on ne retrouve dans La Peau de chagrin aucune atmosphère angoissante ou inquiétante typique du roman gothique. Ce qui relève du mystère, c’est le sujet du récit. Cette Peau maléfique.

Par ailleurs, malgré le caractère fantastique du sujet, l’écriture, le style demeurent balzaciens, c’est-à-dire empreints d’un profond réalisme, ce qui ne participe pas non plus à la création d’une ambiance inquiétante. À tout le moins pas dans le sens où on l’entend s’agissant d’un roman gothique.

Certains trouvent que le roman est trop contemplatif et descriptif. Personnellement je ne l’ai pas ressenti. Ou en tout cas, ça ne m’a pas marqué.

Un roman philosophique

Ce roman peut être qualifié de philosophique en ce qu’il interroge l’homme, ses faux-semblants, son manque d’authenticité envers autrui autant qu’envers lui-même, la perversité de ses désirs, la responsabilité et le moteur de ses actes.

Le roman est riche et complexe, et je suppose que chacun y verra mis en lumière des éléments, des observations et des analyses qu’il a déjà en lui. Le roman fera miroir à ses propres interrogations qui ne peuvent être les mêmes pour chaque lecteur.

En ce qui me concerne j’y ai vu une analyse et une remise en question de nos désirs. Faut-il cesser de désirer pour vivre et si tel est le cas, ne cessons-nous pas précisément de vivre?

Considérations personnelles

Tous les désirs se valent-ils?

Je regrette que Balzac n’ait pas approfondi son analyse ou sa description des désirs.

J’aurai en effet souhaité que Balzac nuance son propos sur ce point.

Si l’on comprend que les désirs de pouvoir, de richesse, de reconnaissance puissent être nocifs et doivent à cet égard être interrogés, qu’en est-il de désirs qui seraient plus authentiques ?

C’est d’autant plus déroutant que Balzac semble nous mettre sur la voie avec deux protagonistes féminines qui s’opposent d’une manière presque caricaturale. La femme superficielle, vaine, futile, et opportuniste d’un côté et la femme pure et dévouée de l’autre.

Raphael aura des sentiments d’abord pour la première ensuite pour la seconde. Mais ces deux désirs, l’un superficiel et l’autre fondé sur l’amour sont-ils à mettre sur un pied d’égalité ?

Balzac reste muet sur cette question.

Pourtant, comme il le montre lui-même, renier tout désir c’est vivre à l’état végétatif.

N’est-il donc pas illusoire de penser qu’un homme qui n’aurait pas la sagesse d’un Bouddha ou d’un Gandhi puisse vivre sans désir.

Et s’il ne peut pas se résigner à vivre sans désir, tout est-il perdu pour lui ?

En ce qui me concerne, je considère que ce qui pervertit, ce sont les actions inauthentiques que l’on fait pour plaire, être reconnu, acquérir plus de pouvoir.

Dès lors il ne faut pas tels des moines cesser d’agir et de désirer mais tenter le plus possible d’être authentiques. Ecouter notre voix intérieure et lui obéir quelles qu’en soient les conséquences et quoi qu’en pense la société.

Erreur et rédemption

Je regrette également le côté fataliste de la Peau de chagrin.

Il est vrai que Raphael a commis des erreurs. Mais c’est notre lot à tous.

En outre, avancer vers soi, comprendre la vie, son sens, apprendre à décoder le mode, construire sa personnalité, découvrir ses valeurs, son authenticité est un chemin qui ne se conçoit que par l’erreur.

Ce sont les erreurs qui nous permettent d’avancer. De nous comprendre et de comprendre le monde. Il n’y a pas d’authenticité ni de vie authentique sans erreur.

Or, Raphael est condamné et Balzac ne lui offre aucune issue. Comme si aucune rédemption n’était possible.

En cela, Balzac contribue à cette dérive malheureuse qui nous donnent l’illusion que les choses devraient toujours être parfaites, alors que l’erreur fait partie de la perfection.

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La Dame du manoir de Wildfell Hall – Anne Brontë

La Dame du manoir de Wildfell Hall est publié pour la première fois en 1848. Ecrit par Anne Brontë, peut-être la moins connue des trois célèbres sœurs Brontë.

La Dame du manoir de Wildfell Hall - Anne Brontë
La Dame du manoir de Wildfell Hall – Anne Brontë

On considère généralement ce roman comme une des premières œuvres féministes.

Il faut bien entendu replacer l’œuvre dans son contexte pour comprendre l’aspect féministe de la Dame du manoir de Wildfell Hall.

Si vous n’opérez pas un déplacement de point de vue, si vous jugez la Dame du manoir de Wildfell Hall à l’aune de ce que vous connaissez aujourd’hui du féminisme, vous n’y verrez bien entendu rien de révolutionnaire et vous serez sans doute déçu.

Un petit mot sur l’histoire

Helen, veuve, s’installe seule avec son fils au manoir de Wildfell Hall où elle vit comme une recluse. L’installation de cette jeune inconnue intrigue le voisinage et alimente les rumeurs.

Cette jeune veuve éveille tout particulièrement l’intérêt d’un de ses voisins, Gilbert Markham. Intrigué, attiré, il va tenter de comprendre cette femme mystérieuse.

Rapidement, le lecteur pressent avec Gilbert que cette femme cache ou fuit quelque chose.

Le roman est volumineux : 564 pages aux éditions Archipoche. Mais vous verrez, les pages se tournent sans effort. On ne s’ennuie pas une seule minute.

La construction du récit et les personnages

Les personnages sont bien construits, crédibles et attachants.

La construction du récit alterne des lettres rédigées par Gilbert et le journal intime d’Helen.

Au fil de sa lecture, le lecteur récolte les différentes pièces d’un puzzle qu’il lui faut assembler lui-même.  Des éléments qui nous proviennent de protagonistes différents et qui sont donc empreints de partialité. Limités à la subjectivité du protagoniste.

Le lecteur doit dès lors non seulement assembler les éléments épars, mais également les confronter pour tenter de reconstruire lui-même l’histoire. Se faire son propre point de vue.

En d’autres termes, l’agencement de la Dame du manoir de Wildfell Hall oblige le lecteur à construire non seulement l’histoire mais également sa propre opinion, ce qui sollicite son propre imaginaire.

L’influence du roman gothique

La Dame du manoir de Wildfell Hall est un roman sombre et intense, généralement qualifiée d’œuvre romantique.

Néanmoins, comme c’est d’ailleurs le cas dans beaucoup de romans des sœurs Brontë, mais dans celui-ci tout particulièrement, l’influence du roman gothique est évidente.

Un peu à l’image des Hauts de Hurlevents d’Emily Brontë avec lequel la Dame du manoir de Wildfell Hall entretient d’ailleurs de nombreux liens. Manoirs sinistres, paysages désolés, atmosphère sombre et mystérieuse, âmes tourmentées.

Ceci dit, le romantisme entretien selon moi, par nature, des liens étroits avec le roman gothique.

En effet, comme le roman gothique, mais dans une mesure différente, le romantisme exalte le mystère et le fantastique. Il s’oppose à la raison pure et froide. Ils ont également tous deux un intérêt marqué pour le passé.

La différence, selon moi, entre le roman gothique et le romantisme se situe dans la manière dont ils exaltent le mystère.

Le roman gothique se tourne vers l’ombre et les ténèbres, tandis que la plupart des romantiques recherchent l’évasion, et le ravissement dans le rêve. Le romantisme a également quelque chose de plus mélancolique que le roman gothique.

Le romantisme n’exclut toutefois pas le morbide et le sublime. Cette élégance, cette subtilité dont je vous parle dans mon article sur le roman gothique.

La traduction française

Certains se plaignent de la mauvaise qualité de la traduction française chez Archipoche. Les plus sévères vont jusqu’à trouver que la piètre qualité de cette traduction hôte tout intérêt littéraire au roman. Qu’elle rendrait le style plat et trop répétitif.

Personnellement, je n’y ai pas été sensible. J’étais, je suppose, trop absorbée par l’histoire pour m’en émouvoir. Et j’ai pris autant de plaisir à lire la Dame du manoir de Wildfell Hall que Les Hauts de Hurlevents.

Au contraire, j’ai trouvé que la Dame du manoir de Wildfell Hall était, dans son style, résolument moderne et qu’il n’était pas du tout difficile à lire pour un lecteur contemporain.

La lecture m’a paru légère, sans être stupide.

Je ne doute bien entendu pas que la version originale soit encore plus savoureuse et si vous en avez les moyens il est évidemment toujours préférable de lire un livre dans sa langue originale.

Mais malheureusement si l’on ne maîtrise pas suffisamment la langue on peut également passer à côté de toute une série de choses intéressantes.

Pour conclure

La Dame du manoir de Wildfell Hall fait partie des romans qui m’ont littéralement marquée. Je ne sais pas si c’est un chef-d’œuvre, ni si tout le monde devrait le lire. Et bien sûr je ne peux pas vous garantir qu’il vous plaira.

C’est bien entendu une question de sensibilité, mais il ne fait aucun doute que la Dame du manoir de Wildfell Hall a largement touché la mienne.

Je terminerai par une citation qui montre toute la nuance qu’Anne Brontë parvient à mettre dans son récit :

« Que nous importe ce qu’ils pensent si nous sommes contents de nous-même  (…) même si l’opinion des autres a peu d’importance, même si vous estimez qu’ils n’ont aucune valeur humaine, il n’est pas agréable d’être considérée comme une menteuse et une hypocrite, d’être accusée d’actions abominables, de voir toutes vos bonnes intentions mal interprétées ; d’avoir les mains liées parce que l’on vous juge indigne, de voir que tout le monde se refuse à croire que vous respectez certains principes »

La Dame du manoir de Wildfell Hall – Anne Brontë
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Roman gothique – Apologie du mystère

Le roman gothique

Connaissez-vous le roman gothique ?

Un genre littéraire qui apparait en Angleterre dans la deuxième moitié du 18ème siècle.

Ce qui caractérise le roman gothique, c’est une ambiance. Une atmosphère angoissante, inquiétante, et en même temps, de façon relativement inexplicable, réconciliante.

Le roman gothique

Associez des ruines, des âmes tourmentées, des chateaux hantés, des lieux abandonnés, des labyrinthes angoissants, des passages secrets, des phénomènes à la frontière du surnaturel ou du mystique et vous aurez les principaux ingrédients du roman gothique.

La plupart des romans gothiques (à l’époque) ont été écrits par des femmes. Ils ont rencontré beaucoup de succès mais ont souvent été décriés par la critique, que ce soit en Angleterre ou en France.

Le roman gothique et le mystère

Le roman gothique assume des émotions mêlées, contradictoires, chaotiques qui hantent les hommes. Lutte contre cet ordre créé par l’homme qui prétend tout expliquer. Un ordre factice qui n’a rien à voir avec la vie.

Et parce qu’il reconnait qu’on ne peut pas tout expliquer, il assume le mystère qui entoure voire englobe nos vies.

En effet, percer le mystère des choses c’est l’anéantir. Or, tout n’est pas rationnellement explicable. Le mystère est partout. Aussi loin que nous irons, il ne sera jamais vaincu. Il dominera toujours nos vies et fécondera toujours nos angoisses.

Or, si le mystère est responsable de nos angoisses, c’est aussi lui qui rend possible l’émerveillement. Contrairement au rationalisme qui désenchante.

De cette manière, le roman gothique dénonce les illusions et les mensonges qu’engendre la vanité de l’homme. À commencer par celle qui consiste à penser ou croire que l’homme peut tout.

Illusions qui, quand je vois ce qu’elles justifient aujourd’hui, m’angoissent bien plus profondément que n’importe quel roman gothique.

Une angoisse réconciliante

L’angoisse provoquée par le roman gothique est ce que j’appelle une angoisse réconciliante. Parce que c’est une angoisse qui reflète nos propres angoisses existentielles, sans les juger.

En intégrant ce que la vie a d’angoissant, le roman gothique reconnait son existence fondamentale. Ne tente pas de la nier. Il reconnait en cela, contrairement aux rationalistes, que nous sommes incapables de dépasser cette angoisse. Parce qu’elle fait partie de la vie.

Finalement, le roman gothique remet humblement au cœur de l’homme la peur, les angoisses et les ténèbres.

Il réhabilite ainsi la vie dans ce qu’elle a d’incompréhensible. De ténébreux de sombre, d’angoissant et d’inquiétant. Mais aussi de mystérieux et donc de merveilleux.

Le roman gothique s’oppose à une conception manichéenne du monde qui voudrait que le monde se divise entre le bien, le propre, le lisse, l’harmonie qui se déploierait toujours en pleine lumière et le mal, le sale, l’irrégulier, le chaos qui se dissimulerait nécessairement dans les ténèbres.

Il rend à la vie toute sa complexité. Toute sa nuance. Réconcilie le rêve et l’angoisse.

Un passé qui hante les murs

Tout roman gothique entretient un rapport particulier au passé.

À la lecture d’un roman gothique, on ne peut s’empêcher de ressentir que le passé hante les murs, les objets, l’air, les gens et peut-être même leurs gènes.

Comme si le temps n’existait pas et que les expériences s’accumulaient dans les choses.

Un passé qui se révèle souvent sous forme de secrets, ce qui rajoute du suspense à l’ambiance et vous empêche définitivement de lâcher le roman. Roman qui se met littéralement à vous hanter.

Le roman gothique et le sublime

Contrairement à d’autres genres littéraires du même style, le roman gothique est élégant. Il ne s’agit pas de vous terroriser pour vous terroriser. De vous montrer des monstres effrayants qui, finalement n’ont absolument rien d’effrayant. Il ne s’agit pas non plus de faire gicler le sang ni de décrire des scènes de torture ou de morts atroces.

Gracieux par sa subtilité. Parce qu’il ne fait que suggérer. Le roman gothique n’est jamais vulgaire.

C’est là toute la force littéraire du roman gothique. En flirtant avec le sublime, il nous rappelle tout ce que l’ombre, l’irrégulier, l’irrationnel, en d’autres termes l’humain, peuvent avoir de beau et d’esthétique. Qu’il peut y avoir de la beauté dans les ténèbres. Et que peut-être, c’est là que réside la vie, puisque, nous ne pouvons jamais totalement ni la comprendre ni l’appréhender, et encore moins l’enfermer dans la lumière de nos encyclopédies ou de nos dictionnaires.

Le roman gothique et le féminisme

Le roman gothique est souvent associé à une héroïne faible, sensible, victime de ses bourreaux. Femme passive.

Si l’héroïne des Mystères d’Udolphe répond partiellement à cette description, elle va tout de même au bout de sa quête et se montre capable de surmonter quantité d’aventures.

Par ailleurs, parmi les romans ultérieurs largement inspirés du roman gothique, bon nombre sont aujourd’hui qualifiés de « féministes ». C’est le cas de la Dame du manoir de Wildfell Hall, considéré comme le premier roman féministe. Ou encore de Mauprat de George Sand.

Comme je l’indiquais dans l’article sur la Dame du manoir de Wildfell Hall, il ne s’agit pas du féminisme tel qu’on le connait aujourd’hui. Et ces œuvres, si on ne les replace pas dans leur contexte ne nous semblent rien avoir de révolutionnaire.

J’aime voir un soupçon de féminisme dans le roman gothique. Et je n’imagine pas aujourd’hui mon « roman gothique idéal » sans cette caractéristique.

Un genre disparu qui pourrait renaître de ses cendres

Ce genre littéraire a disparu. Il continue toutefois d’infuser et un jour peut-être renaîtra-t-il de ses cendres sous une forme plus moderne. C’est tout ce que je souhaite personnellement.

Pourquoi ? Parce que le roman gothique, c’est une apologie de la vie. Ce qui en fait un genre plus intéressant que n’importe quel autre genre littéraire.

Plus suggestif que la science-fiction puisqu’il ne fait que suggérer le surnaturel sans jamais prendre totalement parti. Laissant le lecteur libre de choisir ce qu’il décide de croire.

Plus élégant que les romans d’horreur, puisqu’il ne se contente pas de faire gicler du sang par-ci par-là. Il ne se se contente pas de scènes qui, en étant trop explicites manquent d’une part d’élégance voire d’esthétique et qui, d’autre part, limitent l’imaginaire du lecteur, limitent son propre pouvoir ou rôle créatif dans la lecture.

Plus mystérieux que le roman policier puisque contrairement à lui, il ne prétend pas tout résoudre. Le mystère faisant partie intégrante du genre. Comme il fait partie intégrante de la vie.

Plus passionnant que la littérature dite blanche par l’importance qu’il accorde à l’intrigue et à l’imaginaire qu’il utilise pour la construire.

Quelques romans

Romans gothiques

Romans influencés par les romans gothiques

Considérations personnelles

J’ai probablement une vision idéalisée du roman gothique.

Je le considère dans tout ce que j’aimerais qu’il soit, avec des exigences de modernité qui évidemment ne peuvent être remplies par des romans d’une autre époque.

Je suppose que c’est la raison pour laquelle aucun roman qualifié de gothique ne m’a jamais vraiment totalement convaincue.

En outre, les romans gothiques du 18ème privilégient peut-être la forme intéressante que leur offrait le style gothique au détriment du fond. Ce qui, naturellement, a tendance à déforcer le roman.

Il n’en reste pas moins que le roman gothique inspire toute mon écriture.

J’ai été plus convaincue par des romans influencés par le genre et plus particulièrement par les romans de Wilkie Collins, la Dame en blanc et Secret absolu, ou encore par les romans des soeurs Brontë, La Dame du manoir de Wildfell Hall et Les Hauts de Hurlevents.

J’ai apprécié d’autres romans influencés par le genre gothique, mais pour d’autres raisons. Mais je n’y ai pas retrouvé cette atmosphère gothique qui me séduit tant.

Il n’y a, selon moi, que les romans de Wilkie Collins et des soeurs Brontë qui aient réussi à exploiter tout ce que ce genre pouvait avoir de passionnant, sans négliger le fond.

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Lire – Pour ceux qui n’ont pas le temps

Lire pour ceux qui n'ont pas le temps

Vous ne trouvez pas le temps de lire ? Pourtant vous aimeriez vous replonger dans les livres. Comme vous le faisiez quand vous aviez le temps. Quand vous n’aviez pas cette vie surchargée à diriger. Pas ce travail qui empiète sur votre vie privée. Les enfants à mener de droite à gauche. Les courses à faire. Le repas à préparer.  

Lire pour ceux qui n'ont pas le temps

Voici quelques trucs et astuces pour vous aider à trouver du temps pour lire.

Profitez de tous les moments creux

Pas le temps de lire ? Vraiment ? Pourquoi ne pas essayer de profiter de tous ces moments creux.

Passez vos journées au scanner. Vous verrez, elles sont en général pleines de ces « moments creux ».

Les transports en commun. Les salles d’attentes. Ou encore ce temps chronophage que vous passez sur les réseaux sociaux en pensant vous distraire. Pourquoi ne pas remplacer quelques minutes de cette occupation par la lecture d’une ou deux pages de roman.

Lisez une ou deux pages avant de vous endormir

Quelle que soit l’heure à laquelle vous allez dormir, essayer de lire une ou deux pages avant de vous endormir.

Toutes les études le disent. Se couper des écrans de votre télévision, de votre téléphone ou de votre tablette avant d’aller vous coucher a un effet bénéfique sur votre sommeil.

Je ne vous dis pas d’aller vous coucher une heure plus tôt et de lire cinquante pages avant de vous endormir. Non, une ou deux pages suffiront pour vous détendre. Prendre distance avec ce qui vous préoccupe. Votre journée ou ce que vous ne devez pas oublier de faire le lendemain.

Faites vous-même le compte : deux pages chez le dentiste, deux pages pour remplacer quelques minutes de Facebook ou Instagram, deux pages dans les transports en commun et deux pages avant d’aller dormir, vous arriverez vite à lire dix pages par jour.

Sachez que lire dix pages vous prend entre dix à quinze minutes. Ce qui ne semble pas insurmontable n’est-ce pas.?

Et à ce rythme, vous aurez vite fait de lire un livre par mois.

Certains dirons. Non, je ne peux pas faire ça. Quand je lis, j’ai besoin de me plonger à fond dans l’histoire et je ne peux pas me contenter de lire deux pages par-ci par-là.

Dommage. D’autant qu’en commençant petit, c’est-à-dire en acceptant de ne lire peut-être que deux pages par jour, vous mettez en place un cercle vertueux et vous vous surprendrez vite à trouver de plus en plus de temps pour lire.

Rappelez-vous, le mieux est l’ennemi du bien.

Lisez tous les jours

Commencez petit. Par contre, tenez-vous à cette règle : si peu que vous lisiez, lisez tous les jours.

Si vous ne lisez pas tous les jours, sans vous en rendre compte, vous sortirez de l’histoire même si elle vous plait. Vous décrocherez rapidement du livre et trouverez de moins en moins de temps à lui consacrer.

Il vaut mieux trouver dix minutes par jour à lire votre roman que dégager une heure de votre week-end. Vous serez mieux plongé dans l’histoire et aurez plus facile à ne pas perdre le rythme.

Emportez votre livre partout

Afin d’être en mesure de mettre à profit la moindre minute de temps creux pour lire, veillez à avoir toujours votre livre avec vous. Un rendez-vous en retard ? Trop tôt pour récupérer vos enfants à l’école ? Personne pour manger avec vous à midi ? Autant d’occasion que vous pourrez mettre à profit pour lire, à condition bien sûr d’avoir votre livre sous la main.

Déculpabilisez

Ne lisez pas un livre qui vous ennuie

Un livre vous ennuie. Refermez-le, vous avez assez de choses à faire. La lecture n’est pas sensée être un supplice mais un moment de détente agréable. Passez à un autre et ne culpabilisez pas.

Ce livre n’est peut-être juste pas fait pour vous. Ou ce n’est tout simplement pas le moment de le lire. N’y voyez pas un manque d’intelligence, de génie ou de sensibilité de votre part.

Ce livre n’est juste pas fait pour vous et ce n’est pas parce que tonton l’a adoré, votre amie l’a trouvé génial ou encore parce que la Pléiade a dit que c’était un chef d’œuvre que vous n’avez pas le droit de ne pas l’aimer.

Peut-être que vous vous dites que je ne fais pas le poids face à la Pléiade. Qui suis-je en effet pour vous absoudre du pêché de ne pas aimer un livre considéré par l’Intelligentsia comme un chef d’œuvre.

C’est vrai. Je ferai donc appel à Jorge Luis Borges dont le génie est reconnu par toute cette fameuse Intelligentsia pour appuyer ma thèse :

« si un livre vous ennuie, abandonnez-le ; ne lisez pas un livre parce qu’il est fameux, ou moderne, ou ancien. Si un livre vous semble ennuyeux, laissez-le (…) si un livre vous ennuie, ne le lisez pas ; c’est qu’il n’a pas été écrit pour vous. La lecture doit être une des formes du bonheur : voilà pourquoi je conseillerais (…) de lire beaucoup, de ne pas se laisser effrayer par la réputation des auteurs, de rechercher un bonheur personnel, un plaisir personnel. Il n’y a pas d’autre façon de lire. »

Jorge Luis Borges – Cours de littérature anglaise


N’hésitez pas à sauter les descriptions

Il en va de même avec les descriptions. Vous aimez un livre mais vous trouvez certaines descriptions trop longues. Et bien sautez les. Qu’importe ? Comme je le disais dans mon article sur Les Mystères d’Udolphe, les livres sont chacun issus de leur époque et devaient par conséquent répondre aux exigences de ces époques. Les descriptions ont eu leur utilité à des époques où l’on ne voyageait pas, où l’on n’avait ni la photographie ni la télévision et encore moins internet. Ces descriptions sont donc parfois dépassées et nous avons le droit de les sauter si elles nous ennuient.

Faites confiance au hasard et à votre intuition

L’univers semble vous envoyer un message. Vous entendez sans arrêt parler de tel livre ou vous y pensez souvent. Un livre se retrouve par hasard entre vos mains. Vous n’en avez jamais entendu parler mais il vous tente sans que vous ne sachiez précisément expliquer pourquoi.

Faites confiance. Faites-vous confiance et lancez vous. S’il ne vous plait pas, mettez le de côté et laissez-vous tenter par un autre.

Soyez à l’écoute de vous-même.

Lisez des histoires à vos enfants

Faites d’une pierre deux coups. Il existe des livres passionnants qui réjouissent autant les parents que les enfants. Harry Potter est peut-être l’exemple qui vient le plus naturellement en tête, mais songez au Petit Prince, Croc Blanc ou encore aux fables de La Fontaine.

Plaisir garanti pour toute la famille. Et en plus, une occasion unique de passer un moment de qualité en famille.

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Les Mystères d’Udolphe – Ann Radcliffe

Le roman d’Ann Radcliffe, les Mystères d’Udolphe, écrit en 1794 est un roman gothique typique.

Les Mystères d'Udolphe - Ann Radcliffe
Les Mystères d’Udolphe Ann Radcliffe

Généralement, celui qu’on cite avec celui d’Horace Walpole « Le Château d’Otrante » lorsqu’on parle de roman gothique.

Il faut le dire, les Mystère d’Udolphe, c’est une brique.

Environ 800 pages dans la version Folio classique (à cet égard si vous le lisez, laissez tomber la préface, ou lisez-la après).

Une autre époque

Il faut rappeler que c’est un roman d’une autre époque. Une époque sans photographie ni cinéma ni télévision ni publicité.

Une époque où l’auteur devait faire un énorme travail de description pour permettre au lecteur d’imaginer des endroits inconnus de lui.

Une époque aussi où, de manière générale, les images étaient beaucoup moins abondantes qu’aujourd’hui et où le lecteur disposait d’une bibliothèque d’images mentales beaucoup plus restreinte.

C’est un fait dont on oublie parfois de prendre conscience : aujourd’hui, la base de données d’images dans le cerveau du lecteur est gigantesque. Nous sommes gavés d’images en permanence, quoique nous fassions.

C’est à cause de cette gigantesque bibliothèque d’images mentales que nous trouvons généralement les descriptions ennuyeuses.

Puisque nous avons déjà plein d’images dans le cerveau, pour qu’une description ne nous ennuie pas, il faut qu’elles nous apportent quelque chose de plus.

Ce quelque chose de plus que requiert le lecteur diffère pour chacun. Pour certains ce sera la poésie, pour d’autres l’ouverture à un autre point de vue.

Et en fonction de ce que la description nous apporte ou non, nous la jugerons ou non ennuyeuse.

C’est important de le comprendre. Pour s’autoriser dans ce genre de lecture à passer les longues descriptions si elles nous ennuient. Et ce, sans culpabiliser.

L’histoire

Les Mystères d’Udolphe mettent en scène une jeune fille, Emilie Saint Aubert qui, de manière relativement brusque et inopinée se retrouve orpheline de parents qu’elle adorait.

On retrouve ici un début similaire à celui du roman de Wilkie Collins « Sans nom ».

La jeune fille perd ses parents avec lesquels elle avait jusque-là une relation idéale voir idyllique.

À la différence toutefois du roman de Wilkie Collins, dans les Mystères d’Udolphe, Emilie n’est pas abandonnée à elle-même, ce qu’elle aurait d’ailleurs sans doute préféré. Elle est confiée à une tante. Personnage qu’on l’on pourrait comparer à la belle mère de Cendrillon, même si le personnage est beaucoup plus nuancé que ça. Et à partir du moment où Emilie est confiée à sa tante, son histoire se corse.

Je ne vous en dirai pas plus.

On retrouve dans les Mystères d’Udolphe d’un côté les éléments de base d’une histoire du genre : un amoureux transit éconduit par la méchante tante d’Emilie, un sombre italien, intriguant, comploteur et profiteur. Et, de l’autre, les ingrédients typiques du roman gothique : passages secrets, ruines, escaliers sombres, château labyrinthique, phénomènes étranges et apparitions impossibles, bruits d’outre tombe, etc.

Un début un peu lent

Le début est assez lent. Il faut laisser sa chance au roman. Comme dans le roman de Wilkie Collins « sans nom » dans lequel l’auteur prend énormément de temps à nous dépeindre la vie familiale idyllique qui précède le drame.

Si ces débuts peuvent paraître longs, dans les deux romans, en fin de lecture on ne saurait plaider en faveur de leur suppression tant ils participent magistralement à la construction subtile du tout par l’auteur. Ces pages qui nous semblent longues sont indispensables pour nous permettre de rentrer totalement dans l’histoire.

Dans « Sans nom », le basculement, à savoir le moment où l’on entre pleinement dans l’histoire se fait subitement. Dès la mort des parents.

Dans les Mystères d’Udolphe, les choses se mettent en place plus progressivement. Il faut dire que « Sans nom » est plutôt une histoire de vengeance là où l’histoire développée dans les « Mystères d’Udolphe » relève plutôt du mystère. Et c’est ce mystère ou disons les pièces de ce mystère qu’Ann Radcliffe positionne scrupuleusement sur son échiquier.

Mais il est vrai que ce positionnement peut paraître trop lent. Surtout à une époque aussi rapide que la nôtre.  

Une angoisse suggérée

Plus on avance dans le récit, plus le mystère prend de l’ampleur.

Et si, dans les descriptions, des paysages notamment, certains trouveront de l’ennui, d’autres y verront de magnifiques moments de poésie.

Ce qui est sûr c’est qu’Ann Radcliffe parvient à créer l’atmosphère particulière aux romans gothiques. .

Est-ce effrayant ? Angoissant ? Ici encore, certains vous dirons que non, d’autres que oui. Probablement qu’à notre époque, peu de lecteurs se sentirons véritablement inquiétés en lisant cette histoire.

Il faut dire que l’inquiétude que crée l’atmosphère des Mystères d’Udolphe est une inquiétude suggérée, évoquée. Non platement décrite par le genre de scènes d’horreur auxquelles nous sommes accoutumés.

Il n’en demeure pas moins qu’à une époque où la profusion d’images gave autant qu’elle abruti, la suggestion nous offre l’occasion de puiser dans notre propre imaginaire. Or, on a malheureusement tendance à oublier que notre propre imaginaire est souvent plus fécond que n’importe quelle image.

En choisissant d’évoquer l’horreur plutôt que de nous la décrire platement, Ann Radcliffe nous permet de participer à la construction du récit tout au long de la lecture.

De cette manière, le roman sera d’autant plus angoissant que nous aurons la capacité à nous laisser porter par notre propre imaginaire.

L’intrigue et les personnages

L’intrigue peut, à certains moments paraître trop naïve et les personnages quelque peu caricaturaux. Mais ne nous prenons pas trop au sérieux.

D’autant que, malgré tout, l’histoire nous tient. Parce qu’une fois qu’on est arrivé à se plonger dans l’intrigue (après quelques centaines de pages un peu laborieuses) on a envie de connaître la fin. C’est un fait.

Faut-il lire les Mystères d’Udolphe?

Le roman a peut-être vieilli et il y a certes des longueurs.

Si vous cherchez un roman rythmé à la mode contemporaine. Une histoire qui se lit rapidement au scénario sans faille, ce roman n’est pas pour vous.

Mais si vous souhaitez prendre le temps. Ralentir le rythme effréné de votre vie. Si les longueurs ne vous effraient pas et si vous êtes prêts à jouer le jeu en engageant votre propre imaginaire, votre propre univers intérieur. Bref, si vous vous en donnez les moyens, le roman en vaut la peine.

Non à cause du message philosophique que le roman véhiculerait. Pas non plus par la force de son intrigue, mais parce qu’il permet une aventure créative dans l’atmosphère particulière du roman gothique.