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Mauprat – George Sand

Mauprat George Sand

Mauprat, dont l’action se situe au 18ème siècle n’est pas un long roman. 434 pages aux éditions folio classique.

Mauprat George Sand

Il aborde des thèmes tels que l’éducation, le féminisme, mais encore, l’égalité. Thèmes qui, on le sait, sont chers à George Sand.

Le roman est ce qu’on appelle protéiforme.

Roman d’amour, roman d’apprentissage, et même, diront certains, roman gothique (avis que je ne partage pas tout à fait comme vous le verrez ci-dessous).

L’histoire

Les Mauprat se partagent en deux branches. L’une honorable, l’autre terrifiante, surnommée d’ailleurs les Coupe-jarret. Des bandits reclus dans leur château sombre et délabré. Débauchés, vivant comme les plus ignobles seigneurs du Moyen-Âge, ne payant ni leurs gens ni leurs dettes et ne reculant devant aucune vilenie pour faire régner la terreur.

Bernard, qui nous raconte son histoire, a été recueilli enfant par les Mauprat Coupe-jarret et va donc grandir entre terreur et violence.

Dès le début du roman, et quoique Bernard fasse preuve d’une grande sévérité envers lui-même, on sent qu’il s’est toujours senti en décalage avec les Mauprat Coupe-jarret. N’ayant toutefois aucun modèle de comparaison, il s’est développé sans prendre conscience de la violence atypique de cette famille. Imaginant que cette manière de vivre était une chose tout à fait normale.

Souvent maltraité, sans personne pour cultiver en lui aucune valeur, il a fait comme il a pu pour survivre. Devenant lui-même brusque et intempérant. Sauvage.

Un jour, les Mauprat Coupe-jarret ramènent au château Edmée, leur cousine issue de la branche honorable de la famille. Alors qu’ils se réunissent pour discuter de son sort, qu’on imagine peu enviable, elle se retrouve seule avec Bernard. Interpellée par la complexité de Bernard, à la fois différent des Coupe-jarret et en même temps emporté et violent, elle tente de l’amadouer pour le convaincre de l’aider à s’enfuir. Bernard, complètement fasciné par cette femme, accepte, à condition qu’elle lui promette de l’épouser.

Pendant qu’ils prennent la fuite, les secours assiègent le château et les Coupe-jarret périssent. 

Bernard est accueilli par Edmée et son père. Il vont le choyer comme un fils, et tenter de l’éduquer.

Bernard rappelle à Edmée sa promesse, mais cette dernière pose son éducation comme condition au mariage.

Influence gothique

On caractérise souvent ce roman de gothique.

Néanmoins, hormis les scènes qui se déroulent dans le château de la Roche-Mauprat qui effectivement est à la fois effrayant et inquiétant, le roman n’est pas en tant que tel « gothique ».

Le reste du roman qui se concentre presqu’exclusivement sur l’éducation de Bernard et l’évolution de sa relation avec Edmée relève plus du romantisme que du gothique. Notamment par la présence importante de la nature dans cette partie du roman et par son aspect plus « contemplatif ».

L’aventure y est également moins développée. On pourrait penser que cette alternation de style engendrerait un déséquilibre, mais George Sand parvient malgré tout à maintenir le lecteur en haleine.

Si le roman est-ce qu’on appelle un roman protéiforme, il me semble toutefois que ce qui domine, c’est l’évolution de Bernard. À ce titre, il me paraît plus opportun de qualifier Mauprat de roman initiatique que de roman gothique.

Roman initiatique

Le thème central abordé par George Sand est indubitablement l’éducation.

Mauprat, c’est avant tout l’histoire d’une humanisation. Humanisation qui, pour George Sand passe nécessairement par l’éducation.

On le sait, George Sand était une fervente admiratrice de Jean-Jacques Rousseau et de son « Emile ». Le roman est empreint de cette influence.

La conception de George Sand telle qu’elle est développée dans Mauprat se distingue toutefois de la thèse de Jean-Jacques Rousseau en ce qu’elle estime qu’un homme n’est ni bon ni mauvais de nature et que seule l’éducation peut le sauver de mauvais instincts ou penchants.

Ce qui ressort également de Mauprat, c’est que George Sand n’envisage pas l’éducation je dirais « ex cathedra », à savoir une éducation froide, impersonnelle. Comme un fichier ou une rame mémoire qu’il suffirait de s’implanter. Non. Pour George Sand, l’éducation nécessite un développement intérieur. Une digestion. Mais aussi une contemplation et une analyse de notre propre fonctionnement. Analyse rendue possible par l’éducation. En d’autres termes, si l’éducation n’est pas suffisante, elle est toutefois nécessaire.

Et on le ressent très bien dans le roman. Bernard acquiert rapidement les rudiments de l’éducation classique. Lire, écrire, étudier les grands philosophes, mais cet apprentissage seul ne lui permet pas de devenir meilleur, plus humain.

Après cet apprentissage, il lui faut encore faire un travail d’introspection, d’intégration des valeurs que l’éducation lui a dévoilées. Il doit en quelque sorte les faire siennes. Et pour les faire siennes, il doit s’interroger sur lui-même. Remettre ses réactions et ses émotions en question.

Féminisme

Edmée, personnage central de Mauprat incarne toutes les idées féministes de George Sand.

Non seulement c’est une jeune femme audacieuse, intelligente, persévérante, mais en plus elle n’hésite pas, malgré son rang et son époque, à défendre des idées d’égalité et d’humanisme.

Elle exige de Bernard qu’il aille toujours plus loin dans son éducation. Intransigeante, elle le pousse dans ses derniers retranchements pour faire de lui un homme toujours meilleur.

Pour conclure

Mauprat aborde des sujets relativement sérieux au travers d’une histoire captivante, pleine d’aventures avec des personnages crédibles et bien construits dont certains, quoique secondaires sont particulièrement singuliers et attachants.

En mêlant plaisir et réflexion, George Sand nous prouve que ce qui est distrayant et agréable peut être intelligent.

Sa vision est par ailleurs profondément humaniste et positive et en ces temps de crise, inutile de dire que ça fait du bien. Jugez-en par vous-même :

« C’est une grande question à résoudre que celle-ci : « Y a-t-il en nous des penchants invincibles, et l’éducation peut-elle les modifier seulement ou les détruire? » Moi, je n’oserais prononcer; je ne suis ni métaphysicien, ni psychologue, ni philosophe; mais j’ai eu une terrible vie messieurs; et, si j’étais législateur, je ferais arracher la langue ou couper le bras à celui qui oserait prêcher ou écrire que l’organisation des individus est fatale, et qu’on ne refait pas plus le caractère d’un homme que l’appétit d’un tigre.

Un classique que je recommande donc au plus grand nombre.

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La Peau de chagrin – Honoré de Balzac

La Peau de chagrin, publié en 1831, fait partie de la grande œuvre de Blazac : la Comédie humaine.

La Peau de chagrin - Honoré de Balzac

Contrairement au reste de son œuvre, La Peau de chagrin avec Melmoth réconcilié est un roman fantastique.

Le roman n’est pas très long : 375 pages aux éditions Folio classique.

L’histoire

Raphael projette de se suicider. Il erre dans Paris en attendant la tombée du jour pour se jeter dans la Seine et se retrouve dans la boutique d’un antiquaire.

Dans la boutique, Raphael est attiré par une Peau de chagrin. L’antiquaire, personnage aussi intriguant que sa boutique, le met en garde contre cette Peau maléfique qui le pouvoir d’exaucer tous vos vœux mais qui resserrera « le cercle de vos jours, figuré par cette Peau».

Le vieillard prévient Raphael :

« Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit. (…) Qu’est ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ? ».

Or, la Peau de chagrin c’est le pouvoir et le vouloir réunis.

Raphael n’y croit pas. Il brave le vieil antiquaire, s’empare de la Peau en lui jetant, en guise de provocation, une série de souhaits exorbitants.

La soirée de Raphael suit son cours, et, progressivement, ses souhaits semblent se réaliser. Au début, il n’y voit que coïncidence. Mais quand un notaire lui annonce qu’il vient d’hériter d’une fortune colossale, il se met à douter.

Conscient que chacun de ses désirs le mènera dorénavant à sa mort, il tente une réclusion volontaire. Limitant le plus possible ses envies et ses souhaits. Ne vivant pour ainsi dire plus.

Pourtant il est tiraillé : faut-il vivre, laisser libre cours à ses désirs, ses passions et sentiments et courir à sa mort ou faut-il renoncer à la vie, se limiter à un état végétatif pour tenter de prolonger sa vie ?

Il est intéressant de constater la transformation de Raphael qui, au début du récit, souhaite se suicider et, en fin de récit tente tout ce qui est possible pour se maintenir en vive, quitte à remplacer la vie par l’existence. Quitte à vivre en étant déjà mort.

Influence

Balzac s’est largement inspiré de l’œuvre de Charles-Robert Maturin, « Melmoth », pour écrire la Peau de chagrin.

Melmoth est un roman gothique qui semble avoir fasciné Balzac qui l’estimait d’ailleurs « égal et par endroits supérieur au Faust de Goethe ».

L’influence se ressent toutefois plus dans le sujet choisi par Balzac que dans la forme.

Hormis les scènes qui se déroulent dans la boutique d’antiquité, on ne retrouve dans La Peau de chagrin aucune atmosphère angoissante ou inquiétante typique du roman gothique. Ce qui relève du mystère, c’est le sujet du récit. Cette Peau maléfique.

Par ailleurs, malgré le caractère fantastique du sujet, l’écriture, le style demeurent balzaciens, c’est-à-dire empreints d’un profond réalisme, ce qui ne participe pas non plus à la création d’une ambiance inquiétante. À tout le moins pas dans le sens où on l’entend s’agissant d’un roman gothique.

Certains trouvent que le roman est trop contemplatif et descriptif. Personnellement je ne l’ai pas ressenti. Ou en tout cas, ça ne m’a pas marqué.

Un roman philosophique

Ce roman peut être qualifié de philosophique en ce qu’il interroge l’homme, ses faux-semblants, son manque d’authenticité envers autrui autant qu’envers lui-même, la perversité de ses désirs, la responsabilité et le moteur de ses actes.

Le roman est riche et complexe, et je suppose que chacun y verra mis en lumière des éléments, des observations et des analyses qu’il a déjà en lui. Le roman fera miroir à ses propres interrogations qui ne peuvent être les mêmes pour chaque lecteur.

En ce qui me concerne j’y ai vu une analyse et une remise en question de nos désirs. Faut-il cesser de désirer pour vivre et si tel est le cas, ne cessons-nous pas précisément de vivre?

Considérations personnelles

Tous les désirs se valent-ils?

Je regrette que Balzac n’ait pas approfondi son analyse ou sa description des désirs.

J’aurai en effet souhaité que Balzac nuance son propos sur ce point.

Si l’on comprend que les désirs de pouvoir, de richesse, de reconnaissance puissent être nocifs et doivent à cet égard être interrogés, qu’en est-il de désirs qui seraient plus authentiques ?

C’est d’autant plus déroutant que Balzac semble nous mettre sur la voie avec deux protagonistes féminines qui s’opposent d’une manière presque caricaturale. La femme superficielle, vaine, futile, et opportuniste d’un côté et la femme pure et dévouée de l’autre.

Raphael aura des sentiments d’abord pour la première ensuite pour la seconde. Mais ces deux désirs, l’un superficiel et l’autre fondé sur l’amour sont-ils à mettre sur un pied d’égalité ?

Balzac reste muet sur cette question.

Pourtant, comme il le montre lui-même, renier tout désir c’est vivre à l’état végétatif.

N’est-il donc pas illusoire de penser qu’un homme qui n’aurait pas la sagesse d’un Bouddha ou d’un Gandhi puisse vivre sans désir.

Et s’il ne peut pas se résigner à vivre sans désir, tout est-il perdu pour lui ?

En ce qui me concerne, je considère que ce qui pervertit, ce sont les actions inauthentiques que l’on fait pour plaire, être reconnu, acquérir plus de pouvoir.

Dès lors il ne faut pas tels des moines cesser d’agir et de désirer mais tenter le plus possible d’être authentiques. Ecouter notre voix intérieure et lui obéir quelles qu’en soient les conséquences et quoi qu’en pense la société.

Erreur et rédemption

Je regrette également le côté fataliste de la Peau de chagrin.

Il est vrai que Raphael a commis des erreurs. Mais c’est notre lot à tous.

En outre, avancer vers soi, comprendre la vie, son sens, apprendre à décoder le mode, construire sa personnalité, découvrir ses valeurs, son authenticité est un chemin qui ne se conçoit que par l’erreur.

Ce sont les erreurs qui nous permettent d’avancer. De nous comprendre et de comprendre le monde. Il n’y a pas d’authenticité ni de vie authentique sans erreur.

Or, Raphael est condamné et Balzac ne lui offre aucune issue. Comme si aucune rédemption n’était possible.

En cela, Balzac contribue à cette dérive malheureuse qui nous donnent l’illusion que les choses devraient toujours être parfaites, alors que l’erreur fait partie de la perfection.

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La Dame du manoir de Wildfell Hall – Anne Brontë

La Dame du manoir de Wildfell Hall est publié pour la première fois en 1848. Ecrit par Anne Brontë, peut-être la moins connue des trois célèbres sœurs Brontë.

La Dame du manoir de Wildfell Hall - Anne Brontë
La Dame du manoir de Wildfell Hall – Anne Brontë

On considère généralement ce roman comme une des premières œuvres féministes.

Il faut bien entendu replacer l’œuvre dans son contexte pour comprendre l’aspect féministe de la Dame du manoir de Wildfell Hall.

Si vous n’opérez pas un déplacement de point de vue, si vous jugez la Dame du manoir de Wildfell Hall à l’aune de ce que vous connaissez aujourd’hui du féminisme, vous n’y verrez bien entendu rien de révolutionnaire et vous serez sans doute déçu.

Un petit mot sur l’histoire

Helen, veuve, s’installe seule avec son fils au manoir de Wildfell Hall où elle vit comme une recluse. L’installation de cette jeune inconnue intrigue le voisinage et alimente les rumeurs.

Cette jeune veuve éveille tout particulièrement l’intérêt d’un de ses voisins, Gilbert Markham. Intrigué, attiré, il va tenter de comprendre cette femme mystérieuse.

Rapidement, le lecteur pressent avec Gilbert que cette femme cache ou fuit quelque chose.

Le roman est volumineux : 564 pages aux éditions Archipoche. Mais vous verrez, les pages se tournent sans effort. On ne s’ennuie pas une seule minute.

La construction du récit et les personnages

Les personnages sont bien construits, crédibles et attachants.

La construction du récit alterne des lettres rédigées par Gilbert et le journal intime d’Helen.

Au fil de sa lecture, le lecteur récolte les différentes pièces d’un puzzle qu’il lui faut assembler lui-même.  Des éléments qui nous proviennent de protagonistes différents et qui sont donc empreints de partialité. Limités à la subjectivité du protagoniste.

Le lecteur doit dès lors non seulement assembler les éléments épars, mais également les confronter pour tenter de reconstruire lui-même l’histoire. Se faire son propre point de vue.

En d’autres termes, l’agencement de la Dame du manoir de Wildfell Hall oblige le lecteur à construire non seulement l’histoire mais également sa propre opinion, ce qui sollicite son propre imaginaire.

L’influence du roman gothique

La Dame du manoir de Wildfell Hall est un roman sombre et intense, généralement qualifiée d’œuvre romantique.

Néanmoins, comme c’est d’ailleurs le cas dans beaucoup de romans des sœurs Brontë, mais dans celui-ci tout particulièrement, l’influence du roman gothique est évidente.

Un peu à l’image des Hauts de Hurlevents d’Emily Brontë avec lequel la Dame du manoir de Wildfell Hall entretient d’ailleurs de nombreux liens. Manoirs sinistres, paysages désolés, atmosphère sombre et mystérieuse, âmes tourmentées.

Ceci dit, le romantisme entretien selon moi, par nature, des liens étroits avec le roman gothique.

En effet, comme le roman gothique, mais dans une mesure différente, le romantisme exalte le mystère et le fantastique. Il s’oppose à la raison pure et froide. Ils ont également tous deux un intérêt marqué pour le passé.

La différence, selon moi, entre le roman gothique et le romantisme se situe dans la manière dont ils exaltent le mystère.

Le roman gothique se tourne vers l’ombre et les ténèbres, tandis que la plupart des romantiques recherchent l’évasion, et le ravissement dans le rêve. Le romantisme a également quelque chose de plus mélancolique que le roman gothique.

Le romantisme n’exclut toutefois pas le morbide et le sublime. Cette élégance, cette subtilité dont je vous parle dans mon article sur le roman gothique.

La traduction française

Certains se plaignent de la mauvaise qualité de la traduction française chez Archipoche. Les plus sévères vont jusqu’à trouver que la piètre qualité de cette traduction hôte tout intérêt littéraire au roman. Qu’elle rendrait le style plat et trop répétitif.

Personnellement, je n’y ai pas été sensible. J’étais, je suppose, trop absorbée par l’histoire pour m’en émouvoir. Et j’ai pris autant de plaisir à lire la Dame du manoir de Wildfell Hall que Les Hauts de Hurlevents.

Au contraire, j’ai trouvé que la Dame du manoir de Wildfell Hall était, dans son style, résolument moderne et qu’il n’était pas du tout difficile à lire pour un lecteur contemporain.

La lecture m’a paru légère, sans être stupide.

Je ne doute bien entendu pas que la version originale soit encore plus savoureuse et si vous en avez les moyens il est évidemment toujours préférable de lire un livre dans sa langue originale.

Mais malheureusement si l’on ne maîtrise pas suffisamment la langue on peut également passer à côté de toute une série de choses intéressantes.

Pour conclure

La Dame du manoir de Wildfell Hall fait partie des romans qui m’ont littéralement marquée. Je ne sais pas si c’est un chef-d’œuvre, ni si tout le monde devrait le lire. Et bien sûr je ne peux pas vous garantir qu’il vous plaira.

C’est bien entendu une question de sensibilité, mais il ne fait aucun doute que la Dame du manoir de Wildfell Hall a largement touché la mienne.

Je terminerai par une citation qui montre toute la nuance qu’Anne Brontë parvient à mettre dans son récit :

« Que nous importe ce qu’ils pensent si nous sommes contents de nous-même  (…) même si l’opinion des autres a peu d’importance, même si vous estimez qu’ils n’ont aucune valeur humaine, il n’est pas agréable d’être considérée comme une menteuse et une hypocrite, d’être accusée d’actions abominables, de voir toutes vos bonnes intentions mal interprétées ; d’avoir les mains liées parce que l’on vous juge indigne, de voir que tout le monde se refuse à croire que vous respectez certains principes »

La Dame du manoir de Wildfell Hall – Anne Brontë
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Les Mystères d’Udolphe – Ann Radcliffe

Le roman d’Ann Radcliffe, les Mystères d’Udolphe, écrit en 1794 est un roman gothique typique.

Les Mystères d'Udolphe - Ann Radcliffe
Les Mystères d’Udolphe Ann Radcliffe

Généralement, celui qu’on cite avec celui d’Horace Walpole « Le Château d’Otrante » lorsqu’on parle de roman gothique.

Il faut le dire, les Mystère d’Udolphe, c’est une brique.

Environ 800 pages dans la version Folio classique (à cet égard si vous le lisez, laissez tomber la préface, ou lisez-la après).

Une autre époque

Il faut rappeler que c’est un roman d’une autre époque. Une époque sans photographie ni cinéma ni télévision ni publicité.

Une époque où l’auteur devait faire un énorme travail de description pour permettre au lecteur d’imaginer des endroits inconnus de lui.

Une époque aussi où, de manière générale, les images étaient beaucoup moins abondantes qu’aujourd’hui et où le lecteur disposait d’une bibliothèque d’images mentales beaucoup plus restreinte.

C’est un fait dont on oublie parfois de prendre conscience : aujourd’hui, la base de données d’images dans le cerveau du lecteur est gigantesque. Nous sommes gavés d’images en permanence, quoique nous fassions.

C’est à cause de cette gigantesque bibliothèque d’images mentales que nous trouvons généralement les descriptions ennuyeuses.

Puisque nous avons déjà plein d’images dans le cerveau, pour qu’une description ne nous ennuie pas, il faut qu’elles nous apportent quelque chose de plus.

Ce quelque chose de plus que requiert le lecteur diffère pour chacun. Pour certains ce sera la poésie, pour d’autres l’ouverture à un autre point de vue.

Et en fonction de ce que la description nous apporte ou non, nous la jugerons ou non ennuyeuse.

C’est important de le comprendre. Pour s’autoriser dans ce genre de lecture à passer les longues descriptions si elles nous ennuient. Et ce, sans culpabiliser.

L’histoire

Les Mystères d’Udolphe mettent en scène une jeune fille, Emilie Saint Aubert qui, de manière relativement brusque et inopinée se retrouve orpheline de parents qu’elle adorait.

On retrouve ici un début similaire à celui du roman de Wilkie Collins « Sans nom ».

La jeune fille perd ses parents avec lesquels elle avait jusque-là une relation idéale voir idyllique.

À la différence toutefois du roman de Wilkie Collins, dans les Mystères d’Udolphe, Emilie n’est pas abandonnée à elle-même, ce qu’elle aurait d’ailleurs sans doute préféré. Elle est confiée à une tante. Personnage qu’on l’on pourrait comparer à la belle mère de Cendrillon, même si le personnage est beaucoup plus nuancé que ça. Et à partir du moment où Emilie est confiée à sa tante, son histoire se corse.

Je ne vous en dirai pas plus.

On retrouve dans les Mystères d’Udolphe d’un côté les éléments de base d’une histoire du genre : un amoureux transit éconduit par la méchante tante d’Emilie, un sombre italien, intriguant, comploteur et profiteur. Et, de l’autre, les ingrédients typiques du roman gothique : passages secrets, ruines, escaliers sombres, château labyrinthique, phénomènes étranges et apparitions impossibles, bruits d’outre tombe, etc.

Un début un peu lent

Le début est assez lent. Il faut laisser sa chance au roman. Comme dans le roman de Wilkie Collins « sans nom » dans lequel l’auteur prend énormément de temps à nous dépeindre la vie familiale idyllique qui précède le drame.

Si ces débuts peuvent paraître longs, dans les deux romans, en fin de lecture on ne saurait plaider en faveur de leur suppression tant ils participent magistralement à la construction subtile du tout par l’auteur. Ces pages qui nous semblent longues sont indispensables pour nous permettre de rentrer totalement dans l’histoire.

Dans « Sans nom », le basculement, à savoir le moment où l’on entre pleinement dans l’histoire se fait subitement. Dès la mort des parents.

Dans les Mystères d’Udolphe, les choses se mettent en place plus progressivement. Il faut dire que « Sans nom » est plutôt une histoire de vengeance là où l’histoire développée dans les « Mystères d’Udolphe » relève plutôt du mystère. Et c’est ce mystère ou disons les pièces de ce mystère qu’Ann Radcliffe positionne scrupuleusement sur son échiquier.

Mais il est vrai que ce positionnement peut paraître trop lent. Surtout à une époque aussi rapide que la nôtre.  

Une angoisse suggérée

Plus on avance dans le récit, plus le mystère prend de l’ampleur.

Et si, dans les descriptions, des paysages notamment, certains trouveront de l’ennui, d’autres y verront de magnifiques moments de poésie.

Ce qui est sûr c’est qu’Ann Radcliffe parvient à créer l’atmosphère particulière aux romans gothiques. .

Est-ce effrayant ? Angoissant ? Ici encore, certains vous dirons que non, d’autres que oui. Probablement qu’à notre époque, peu de lecteurs se sentirons véritablement inquiétés en lisant cette histoire.

Il faut dire que l’inquiétude que crée l’atmosphère des Mystères d’Udolphe est une inquiétude suggérée, évoquée. Non platement décrite par le genre de scènes d’horreur auxquelles nous sommes accoutumés.

Il n’en demeure pas moins qu’à une époque où la profusion d’images gave autant qu’elle abruti, la suggestion nous offre l’occasion de puiser dans notre propre imaginaire. Or, on a malheureusement tendance à oublier que notre propre imaginaire est souvent plus fécond que n’importe quelle image.

En choisissant d’évoquer l’horreur plutôt que de nous la décrire platement, Ann Radcliffe nous permet de participer à la construction du récit tout au long de la lecture.

De cette manière, le roman sera d’autant plus angoissant que nous aurons la capacité à nous laisser porter par notre propre imaginaire.

L’intrigue et les personnages

L’intrigue peut, à certains moments paraître trop naïve et les personnages quelque peu caricaturaux. Mais ne nous prenons pas trop au sérieux.

D’autant que, malgré tout, l’histoire nous tient. Parce qu’une fois qu’on est arrivé à se plonger dans l’intrigue (après quelques centaines de pages un peu laborieuses) on a envie de connaître la fin. C’est un fait.

Faut-il lire les Mystères d’Udolphe?

Le roman a peut-être vieilli et il y a certes des longueurs.

Si vous cherchez un roman rythmé à la mode contemporaine. Une histoire qui se lit rapidement au scénario sans faille, ce roman n’est pas pour vous.

Mais si vous souhaitez prendre le temps. Ralentir le rythme effréné de votre vie. Si les longueurs ne vous effraient pas et si vous êtes prêts à jouer le jeu en engageant votre propre imaginaire, votre propre univers intérieur. Bref, si vous vous en donnez les moyens, le roman en vaut la peine.

Non à cause du message philosophique que le roman véhiculerait. Pas non plus par la force de son intrigue, mais parce qu’il permet une aventure créative dans l’atmosphère particulière du roman gothique.