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Lignes de faille – Nancy Huston

Lignes de faille est l’un de mes romans contemporains préférés. Écrit par Nancy Huston, que j’ai déjà mentionné dans d’autres articles (dans l’article : « Plaidoyer pour la fiction notamment).

Écrivaine franco-canadienne, née au Canada dans les années 50.  Elle est, parmi les auteurs contemporains, une de celles que je trouve la plus intéressante. Passionnée, engagée et en même temps humble. Elle ne prétend rien. Fait preuve, avec beaucoup d’intelligence, d’une authenticité devenue, à mon sens, trop rare dans la littérature française.

Lignes de faille a été publié pour la première fois en 2006. Ce n’est pas un long roman, un peu plus de 370 pages aux éditions J’ai Lu.

Une histoire racontée par des enfants

Lignes de faille est une histoire de famille, racontée par quatre enfants. Quatre enfants issus chacun de générations différentes.

Lignes de faille

Se mettre dans la peau d’un enfant est souvent hasardeux pour un auteur. Peu arrivent en effet à élaborer une voix suffisamment crédible pour que le lecteur y voit celle d’un enfant sans deviner l’adulte qui parle derrière. Mais Nancy Huston y parvient à merveille. Le lecteur y croit. Même si le discours n’est pas pour autant tout à fait enfantin. Au contraire. On pourrait d’ailleurs penser que la maîtrise du langage des narrateurs qui doivent avoir entre 6 et 7 ans pourrait décrédibiliser leur récit mais ce n’est pas le cas. Nancy Huston se tient sur un fil, en équilibre, et le récit tient la route.

Découvrir l’histoire à travers ces voix enfantine permet de capter presque instantanément l’empathie du lecteur. Parce que les enfants suscitent son instinct de protection. Le lecteur est alors plus apte à lui pardonner ses fautes ou défauts de caractère.

La construction du récit

Les récits qui se succèdent, sont incomplets. Comme des prélèvements d’un morceau d’enfance des protagonistes. Le lecteur devra donc recomposer lui-même les événements, dans leur enchaînement, mais également dans leurs relations de causes à effet. Ce dont l’auteur ne parle jamais. C’est une magnifique exécution du principe que tente de suivre tout écrivain : montrer plutôt que dire. Jamais Nancy Huston ne nous dit qu’untel est devenu acerbe parce qu’il à été confronté dans son enfance à de nombreux conflits avec sa mère ou son père, et pourtant, le lecteur en est parfaitement conscient. Mais il le découvre et le comprends lui-même, sans que l’auteur n’ait à le lui expliquer.

Lignes de failles nous montre, tant par son histoire que par sa construction originale, comment des chagrins ou des difficultés vécues par nos ancêtres, même si nous ne les avons pas connus, survivent à travers les générations futures. Par relations, conscientes ou non, de cause à effet. Tel chagrin engendre tel comportement qui conditionne le comportement de la génération suivante et ainsi de suite.

Lignes de faille sort le lecteur de lui-même

Un autre élément intéressant dans la construction du récit est la manière dont l’auteur agence les différentes histoires. On part de l’histoire la plus récente pour remonter à la plus ancienne. Nous retrouvons donc enfants, des personnages que nous avons abordés adultes, indirectement, dans les récits des enfants précédents. Ces personnages, initialement abordés de l’extérieur, à travers la voix d’un enfant sont tout à coup dévoilés au lecteur, non seulement à la première personne, mais également alors qu’il était lui-même un enfant.

Cette manière de procéder confronte le lecteur à ses propres schémas de fonctionnement. En lisant la première histoire, racontée par un enfant, il ne peut s’empêcher, fut-ce inconsciemment, de ‘prendre parti’ voir de juger certains intervenants. Mais le récit suivant est celui de l’un de ces intervenants que le lecteur s’était permis de juger. En découvrant son histoire, il se met à comprendre des actes qu’il a peut-être précédemment mal compris voire jugés absurdes. Il se met alors à relativiser. Se repositionner. Il s’adoucit.

Une humilité qui convoque l’intelligence du lecteur

En se limitant à donner au lecteur tous les ingrédients pour lui permettre de comprendre lui-même ce qu’elle ne dira jamais, Nancy Huston montre qu’elle fait confiance au lecteur. Lui laisse la place qui lui revient dans le récit. C’est en effet au lecteur qu’il appartient de construire la vie des personnages entre leur récit d’enfant et ce que nous découvrons d’eux, adultes, à travers les autres récits.

Par ailleurs, en présentant l’histoire dans un ordre antéchronologique, elle sort le lecteur de ses propres frontières, puisqu’en suscitant successivement, pour un même personnage, des émotions qui se contredisent, elle le force à sortir de lui-même pour analyser sa propre subjectivité et son incapacité à jamais comprendre le comportement des gens, tant leurs sources lui échappent.

Un roman à la fois humble et intelligent. Une magnifique leçon de vie sans prétention moralisatrice.

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La Dame en blanc – Wilkie Collins

La Dame en blanc fait partie du peu de romans que j’ai relu plusieurs fois. Généralement je préfère les nouvelles découvertes, mais je n’ai pas pu résister à l’envie de relire ce livre qui m’avait laissé il y a plusieurs années une forte impression.

La Dame en blanc

Je vous ai déjà parlé de Wilkie Collins dans l’article sur son autre roman : Sans nom.

J’aime beaucoup cet auteur et je regrette vraiment qu’il ne soit pas plus connu aujourd’hui.

La Dame en blanc est un long roman 848 pages chez Archipoche. Publié d’abord en feuilletons dans le journal de Charles Dickens, entre novembre 1859 et octobre 1860, et rencontrera un vif succès.

Pour la petite histoire, le récit est directement inspiré d’une expérience personnelle de Wilkie Collins qui rencontra un soir, lors d’une promenade, une jeune fille mystérieuse, habillée en blanc qui disparaitra après lui avoir tenu des propos incohérents.

Après enquête, l’auteur découvrira que cette femme est séquestrée par son mari. Il la délivrera et ils vivront ensemble, amants, jusqu’à la mort de Wilkie Collins.

L’histoire

La Dame en blanc raconte l’histoire d’une femme, victime d’un infâme complot qui tentera, avec l’aide de sa sœur, Marian Halcombe et de son ami dévoué, Walter Hartright, de recouvrir ses droits et même son identité.

Le thème de l’identité, également présent dans Sans nom est effectivement un sujet cher à Wilkie Collins.

Le récit se déroule sous la forme d’une enquête et s’ouvre sur la rencontre étrange de Walter Hartright, une nuit, avec une femme habillée en blanc.

L’intrigue est recherchée, compliquée, et ne laisse aucun répit au lecteur que Wilkie Collins fait courir d’énigmes en énigmes.

Comme je le disais déjà dans mon article sur Sans nom, Wilkie Collins est un magicien. Il tisse, l’air de rien, la trame de son intrigue. Chaque élément est calculé, mesuré, pesé. Et tout est lié de manière cohérente.

Je ne vous e dit pas plus sur l’histoire. Ce serait inutile, tant les rebondissements sont nombreux.

Structure narrative

La Dame en blanc est un récit raconté successivement par différents personnages. On connait ce genre de procédé assez courant qui permet de montrer au lecteur la part de subjectivité inhérente à tout récit.

Ce qui est particulier dans la structure narrative de la Dame en blanc, c’est la manière dont cette polyphonie s’agence. Les différentes parties du récit sont chaque fois racontées par le protagoniste qui a vécu les faits et qui est le plus à même d’en parler.

Wilkie Collins utilise en quelque sorte la forme du procès pour structurer son récit. L’histoire est en effet racontée comme elle aurait pu l’être devant un tribunal. Les différents protagonistes interviennent en qualité de témoins. Le lecteur jouant quant à lui, d’une certaine manière, le rôle du juge qui entendrait tous ces témoignages pour tenter de reconstruire lui-même le déroulé des faits.

L’auteur pousse l’analogie assez loin en donnant la parole à tous les témoins, quel que soit leur métier, leur classe, leur niveau d’éducation ou leur sexe, mais également en allant jusqu’à produire le « témoignage » fournit par une inscription funéraire. Témoignage que l’on pourrait tout aussi bien appeler « pièce à conviction ».

Cette analogie structurelle avec la tenue d’une affaire judiciaire est évidemment voulue par Wilkie Collins et, il faut le dire, fonctionne à merveille, puisque cette forme est amplement justifiée par la nature même du récit.

Wilkie Collins parvient d’ailleurs un tour de force impressionnant en reliant à la fin de l’histoire cette forme particulière au récit lui-même. Mais je n’en dirai pas plus.

Genre

On retrouve dans la Dame en blanc un début qui relève plutôt du romantisme anglais et qui, progressivement va se transformer pour prendre une forme plus gothique, avec des cimetières, des ruines, des rencontres nocturnes, un asile psychiatrique, etc.

Ambiance angoissante à laquelle Wilkie Collins rajoute beaucoup de tensions, des secrets de famille, et un brin de perversité.

La Dame en blanc est un roman du 19ème, il faut aimer ce genre de littérature, mais la plume de Wilkie Collins est suffisamment alerte et vive pour n’être pas ennuyeuse et conserver une certaine modernité.

Les personnages de la Dame en blanc – un roman de femmes

La Dame en blanc est assurément un roman de femmes. Hormis Walter Hartright, les personnages pivots de cette histoire sont des femmes. Des femmes différentes, ayant chacune leurs points forts et leurs faiblesses. La jeune Marian Halcombe porte bien son prénom et est digne de représenter les plus fervents combats féministes.

Elle est intelligente, moderne, vive, et regrette souvent de ne pas être un homme, ce qui suffit pour montrer sa modernité.

Sa sœur Laura est peut-être un peu plus fade, mais elle reflète une réalité et surtout la condition de la femme à cette époque. Je considère en effet que Laura incarne l’image de l’idéal de la femme de ces temps qui ne sont pas si reculés. Un être fragile, faible, dépendant, voire insipide.

Et si Laura ennuie peut-être un peu le lecteur c’est qu’il y a, pour nous, lecteurs contemporains, quelque chose de choquant voire de dérangeant dans cette peinture trop lisse de la femme.

Par ailleurs, la pâleur de Laura permet d’accroitre le contraste avec sa sœur, Marian. Contraste qui rend l’ensemble du récit d’autant plus émouvant.

Néanmoins, quel que soit leur sexe, tous les personnages sont fouillés et contrastés. Ils sont tous différents et Wilkie Collins parvient à leur donner une voix propre malgré leurs différences. Difficile d’imaginer qu’il n’y ait qu’un seul homme derrière tous ces personnages.

Quelques considérations personnelles

Je suis toujours aussi fascinée par la force de Wilkie Collins qui construit ses intrigues et ses complots d’une manière rarement égalée.

Un rythme soutenu renforce le suspense pour s’assurer, à chaque instant, l’attention du lecteur. Ce, même lorsqu’il se hasarde à quelques descriptions. Il parvient littéralement à obséder le lecteur.

La tension est omniprésente et même les éventuelles longueurs sont rapidement balayées par l’avidité du lecteur impatient.

J’ai en effet toujours considéré ce livre comme fondateur pour moi. Jusque là, je songeais à la Dame en blanc sans hésiter lorsqu’on me parlait de mes « livres préférés », même si je n’aime pas tellement ce terme tant les préférences sont toujours liées à des éléments changeants.

D’ailleurs, avec cette deuxième lecture, je serai plus nuancée que je ne l’ai été jusqu’ici.

Je regrette effectivement un peu cette tension permanente qui fait obstacle à une lecture plus réflexive. Le lecteur est tellement plongé dans l’intrigue qu’il en perd presque la tête et l’esprit.

Par conséquent, après réflexion, il me semble que Sans nom est à ce titre infiniment plus intéressant. L’intrigue et le suspense y sont peut-être moins soutenu, mais le roman est plus équilibré. L’intrigue laisse plus de place au lecteur. À ses pensées, aux réflexions que lui inspirent le récit.

Je comprends donc finalement (il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis) pourquoi de tous les romans de Wilkie Collins, c’est Sans nom que Dickens préférait.

Par contre, la Dame en blanc est peut-être un roman plus adapté à des lecteurs qui ont perdu l’habitude de lire et dont l’intérêt nécessite d’être quelque peu stimulé.

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Le Moulin sur la Floss – George Eliot

Le Moulin sur la Floss
Le Moulin sur la Floss

Le Moulin sur la Floss a été publié pour la première fois en 1860.

Époque où le romantisme anglais se développe. Et dont le roman relève en partie, même s’il est probablement plus réaliste que romantique.

C’est un roman relativement long (697 pages chez folio classique).

Le récit se déroule dans l’Angleterre rurale du XIXème siècle. Histoire de famille, fresque sociale, roman psychologique, le Moulin sur la Floss, est riche.

L’histoire

C’est l’histoire de Maggie qui, on le comprend dès le début, est différente. Elle a l’esprit vif et, on pourrait dire, qu’elle est légèrement en avance sur son temps.

Son impulsivité, son besoin d’émancipation mais aussi sa curiosité, la rendent souvent maladroite. Et elle désespère sa famille, sa mère et ses tantes surtout.

Elle le regrette. Elle aimerait être aussi sage et distinguée que sa cousine. Mais elle ne peut aller contre sa nature et luttera entre ces deux influences tout au long du livre.

Elle se retrouve donc coincée entre ses propres instincts et les principes de son époque incarnés de manière presque caricaturée par sa mère, ses tantes, mais surtout son frère.

Le lien entre Maggie et son frère Tom est très fort. Mais cet amour fraternel est malmené et menacés par des conceptions, des caractères et de valeurs qui s’opposent.

L’histoire est relativement simple. Pas d’intrigue compliquée. Pourtant le Moulin sur la Floss fait passer le lecteur du rire aux larmes en passant par la crainte. Et la succession de ces émotions rend le roman difficile à lâcher.

Les personnages

Le personnage de Maggie est particulièrement intéressant, parce qu’il est subtilement nuancé. Ni tout à fait révolutionnaire, ni tout à fait soumises. Entre les valeurs que lui présente la société et ses propres sentiments et intuitions Maggie est plus perdue que révoltée. Le lecteur suit en cela plus une errance qu’un combat et c’est particulièrement touchant.

Certains personnages, comme les tantes, sont légèrement caricaturés, mais de ces caricatures qui nous font rire et en même temps soulèvent tout le ridicule de certaines constructions sociales.

J’ai particulièrement été touchée par le père de Maggie, Monsieur Tulliver. Tellement têtu que j’ai souvent eu envie d’entrer dans le roman pour le secouer et lui montrer à quel point son obstination était ridicule. Et pourtant, on ne peut pas lui en vouloir. On ne peut qu’être attendri par cet homme qui n’a pas trouvé d’autre moyen de s’en sortir avec ce qu’il appelle lui-même ce casse-tête qu’est la vie.

Le style

Le roman est fluide. Les phrases, les images, les descriptions coulent à travers les pages comme l’eau de la Floss dans le roman dans un style intimiste, poétique, romantique, mais aussi légèrement ironique.

Certains parlent de longueurs, encore une fois, je n’en ai ressenti aucune. Il y a peut-être confusion entre longueurs et rythme. Il est vrai que le récit tantôt s’accélère, tantôt ralentit. Mais ces variations me semblent indispensables pour laisser au lecteur le temps d’assimiler toute la richesse du roman.

Le Moulin de Dorlcote laisse dans l’esprit du lecteur une image qui risque bien de l’accompagner toute sa vie. Comme un endroit magique, romantique, dans lequel il peut lui-même se retirer pour méditer. Plus qu’un lieu, George Eliot en fait tout un symbole.

Le Moulin sur la Floss interroge

Le Moulin sur la Floss, à travers l’histoire de Maggie, ses relations au monde, à sa famille mais également ses propres conflits psychologiques, pose énormément de questions. Questions auxquelles George Eliot a la sagesse de ne pas prétendre avoir les réponses. Puisque chacun devra trouver les siennes. Puisque chacun fait comme il peut avec ce casse-tête qu’est la vie.

Il sonde ainsi notamment l’enfance. Sa magie, son innocence, mais aussi son pouvoir inconscient sur notre manière d’aborder le présent.

Il aborde également la position de la femme dans le monde. Son besoin d’indépendance sans cesse confronté non seulement aux réalités sociales mais également à la dépendance psychologique de la femme. Dépendance dont il est autrement plus difficile de se défaire que de la « simple » dépendance financière.

À cet égard, le renoncement de Maggie peut nous paraître frôler l’absurde. N’oublions pas que nous appartenons à autre siècle.

Certains déplorent que George Eliot ferait dans le Moulin sur la Floss l’apologie du renoncement. Je ne partage pas cet avis. Encore une fois. George Eliot interroge, sans juger ni décider à notre place ce qui est juste ou non.

En ce qui concerne le renoncement, je dirais même qu’en nous peignant les conséquence absurdes et malheureuses qui peuvent en découler lorsqu’il est poussé à l’excès, il difficile de prétendre que l’auteur nous inviterait d’une quelconque manière à suivre cet exemple.

Le Moulin sur la Floss nous montre par contre, avec humour et poésie, la nécessité de nous interroger constamment pour ne pas rester enfermer dans un système de pensées, un point de vue dont, à défaut de remise en question il n’est pas possible de voir l’absurdité ou les défaillances.

Un petit mot sur la fin

La fin m’a surprise, je ne vous le cacherai pas. Dans un premier temps, je me suis même sentie déçue. J’ai eu l’impression que Maggie avait encore beaucoup de chemin à faire. Que ça ne pouvait pas se finir comme ça. Que c’était comme si George Eliot en avait eu marre et avait mis brusquement un terme à son histoire. Et dans un premier temps j’ai donc trouvé cette fin trop facile et trop expéditive.

Et puis, en constatant à quel point cette fin restait incrustée dans mon imaginaire, j’ai changé d’avis.

La fin est douloureuse et émouvante, mais, je l’ai compris plusieurs jours après avoir refermé le livre, c’est aussi un magnifique message d’espoir et d’amour. Parce que c’est bien l’amour que fait finalement triompher George Eliot.

Je me suis également rendu compte qu’en plus, en terminant le roman comme elle le fait, non seulement George Eliot fait triompher l’amour, mais elle invite le lecteur à dépasser son propre égoïsme.

La fin est telle qu’elle doit être, même si elle frustre le lecteur qui en aurait voulu plus et peut-être autrement. Le lecteur doit donc mettre sa frustration de côté et reconnaître que cette fin est magnifique. Même si elle est différente de ses attentes.

George Eliot parvient ainsi en terminant son histoire, à la rendre tout simplement immortelle.

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Le lecteur : son rôle créatif, sa responsabilité

On parle trop rarement du rôle créatif du lecteur. Pourtant, il n’y a pas de livre sans lecteur.

Le lecteur rôle créatif - co création auteur lecteur
Un livre est une création commune de l’auteur et du lecteur

Au risque de choquer, je dirais que pour qu’un livre existe, le travail créatif du lecteur est aussi important que celui de l’écrivain. Quand l’auteur a terminé son livre, le lecteur doit encore le faire vivre à travers sa propre imagination. Auteur et lecteur font donc chacun la moitié du chemin qui mène à la création d’un livre.

Michel Tournier parle du rôle du lecteur dans le Vol du Vampire d’une manière très émouvante :

« Un livre écrit, mais non lu, n’existe pas pleinement. Il ne possède qu’une demi-existence. C’est une virtualité, un être exsangue, vide, malheureux qui s’épuise dans un appel à l’aide pour exister. L’écrivain le sait, et lorsqu’il publie un livre, il lâche dans la foule anonyme des hommes et des femmes une nuée d’oiseaux de papier, […] qui se répandent au hasard en quête de lecteurs. A peine un livre s’est-il abattu sur un lecteur qu’il se gonfle de sa chaleur et de ses rêves. Il fleurit, s’épanouit, devient enfin ce qu’il est : un monde imaginaire foisonnant, où se mêlent indistinctement […] les intentions de l’écrivain et les fantasmes du lecteur. »

Michel Tournier – Le Vol du Vampire

Chaque fois qu’un lecteur lit un livre, une nouvelle oeuvre est créée

Cette phrase semble avoir été tirée de quelque conte fantastique. Pourtant c’est un fait, l’œuvre telle qu’elle est reçue par le lecteur est unique. Ne peut ni être comparée à ce que l’écrivain a écrit, ni à la réception de la même œuvre par quelqu’un d’autre, voire même à sa réception par le même lecteur quelques années plus tard.

Par conséquent, chaque lecture crée une œuvre nouvelle. N’est-ce pas merveilleux ?

C’est en partie pour cette raison qu’une œuvre plaira à l’un et pas l’autre, ou qu’elle plaira ou ne plaira pas en fonction de l’état dans lequel se trouve le lecteur. La qualité du récit n’est pas seule en cause. Contrairement à ce qu’on a tendance à croire.

Si la moitié de l’existence d’un livre est le fait de la créativité du lecteur, il est peut-être temps de revaloriser son rôle.

La magie de la lecture : le rôle créatif du lecteur

C’est dans cette alchimie entre la part créative de l’auteur d’un côté et du lecteur de l’autre que se situe toute la magie de la lecture.

Si le lecteur ne saisit pas l’occasion de faire fonctionner son propre imaginaire, de créer à partir des propositions de l’écrivain, il n’y a pas de véritable expérience de lecture. Parce que le lecteur ne joue pas son rôle.

Peu importe le savoir que le lecteur retire ou non d’un livre, l’intelligence de son auteur, l’élégance de son style. Ces choses sont accessoires. Ce qui importe, c’est l’exploitation du lecteur de son propre pouvoir créatif. S’il ne joue pas son rôle, le livre ne pourra rien lui apporter.

Du cercle vicieux de la critique

La critique de la littérature dite facile. Ces jugements négatifs ou positifs influencent le lecteur et lui dérobent une part de sa propre responsabilité. Ils rétrécissent son esprit alors que pour faire une véritable expérience de lecture, le lecteur doit tenir son esprit le plus ouvert et réceptif possible. Sans a priori, sans conditionnement.

La critique reproche souvent le succès de certains livres en les dénigrant tout en faisant l’apologie d’un certain type de littérature qui, à l’image de l’art contemporain ne semble accessible qu’aux initiés.

Il y a quelque chose de tyrannique dans ce genre de jugements de valeur. Lorsque la critique est favorable, le lecteur peut se sentir obligé d’apprécier le livre et se sentir débile si ce n’est pas le cas. Or, peut-être le lecteur, lorsqu’il se sent moins impressionné par un livre, est-il plus disposé à développer son imaginaire. À se faire confiance. Peut-être s’autorise-il plus de liberté.

Dans ce cas, le succès des livres qualifiés de populaires ne serait pas dû, comme on le sous-entend souvent, au manque d’intelligence des lecteurs, mais à ces jugements de valeurs qui se donnent une apparence d’objectivité alors qu’ils ne sont que l’expression subjective d’un courant de pensée.  

Encore une fois il est temps de nous débarrasser de cette habitude de classer les livres en fonction de leur degré supposé d’« intelligence ». Il est temps d’arrêter de déconsidérer le plaisir et le divertissement.

Surtout, il est temps pour le lecteur de reprendre ses responsabilités. De ne plus s’en remettre à de prétendus connaisseurs. Comme je l’ai déjà dit dans un autre article, personne ne connait le lecteur mieux que lui-même. On peut le conseiller, mais lorsqu’il commence à lire, c’est à lui seul qu’il appartient de jouer son rôle créatif.

De la création

L’âme doit être nourrie au même titre que le corps.

Les besoins de l’homme ne se limitent pas à manger et à dormir. Pour s’épanouir, il a besoin de créer.

La création est la nourriture de l’âme.

Je ne suis pas occupée de vous dire que vous devez tous quitter votre emploi et devenir artistes. Même si, en réalité, artistes, nous le sommes tous déjà, que nous le voulions ou non.

Nous créons en permanence. Lorsque nous travaillons, lorsque nous parlons, lorsque nous pensons.

Tous ce que nous vivons, d’une certaine manière, nous le créons, puisque nous l’interprétons et qu’interpréter c’est déjà un acte de l’imagination. Créer, c’est notre manière naturelle, essentielle et inévitable d’appréhender le monde, d’être au monde.

L’imagination n’est pas l’apanage des génies, ni des personnes qui ont fait de l’art leur métier. L’imagination est une propriété de chaque être humain qu’il lui appartient de cultiver.

Il est donc important, si nous voulons nourrir notre âme, de nous donner le plus possible l’occasion de créer. Et des occasions de créer, il y en a des centaines. Pour ma part, inutile de vous dire que mon occasion à moi, c’est la lecture.

De la paresse

Si certaines nourritures sont néfastes pour le corps, il en va de même pour l’âme.

L’homme a une tendance naturelle à la paresse.

Le corps se laisse facilement séduire par le sucre malgré son manque d’intérêt nutritif, parce qu’il est facile à traiter. Ne demande pas trop d’efforts. Et le corps aime quand il ne doit pas faire trop d’efforts.

Je suppose qu’il en va de même pour l’âme qui doit, elle aussi, se laisser naturellement tenter par des choses préfabriquées, digérées, qui ne lui demandent le moins de labeur possible. Et je suppose encore que c’est pour cette raison qu’elle se laisse facilement séduire par des images, des écrans, qui font tout le travail de création laissant l’imagination se prélasser dans le canapé, plutôt que de s’activer.

Malheureusement, à l’instar du sucre, cette nourriture consommée à l’excès est néfaste.

Manger sainement ne devrait donc pas s’appliquer qu’à l’alimentation corporelle.

Jouer son rôle

Si certaines activités ont un potentiel créatif plus élevé que d’autres, il nous appartient dans la réalisation de ces activités de nous activer. De jouer ce rôle créatif que l’activité propose.

Prenons un exemple qui n’a rien à voir avec la lecture et qui sera peut-être plus parlant. Restons dans l’alimentaire. Une chose est de préparer machinalement des pâtes bolo en téléphonant à sa mère et en surveillant les gosses du coin de l’œil. Une autre est de préparer un gâteau ou n’importe quelle recette en tentant de l’adapter, en faisant des expériences de cuissons ou d’ingrédients.

Vous serez d’accord avec moi pour dire que quoiqu’on les désigne de la même manière, ces deux expériences sont fondamentalement différentes, et que la seconde est bien plus enrichissante. Même si le gâteau finit trop cuit.

C’est pareil avec la lecture. Il ne s’agit pas de se placer devant son livre comme on se place devant un écran. De manière passive.

C’est une question d’engagement. L’engagement de jouer effectivement son rôle.

N’espérez pas retrouver le plaisir de lire si vous laisser la porte de votre imagination fermée en attendant que l’auteur fasse tout le travail. La lecture n’est ni une activité passive, ni une activité paresseuse. Il appartient au lecteur de recréer, voire de compléter, avec sa propre imagination, l’univers suggéré par l’auteur.

Ouvrir la porte de son imaginaire et laisser la possibilité à la magie de s’opérer. Et, si la magie ne s’opère pas, ouvrir un autre livre, mais laisser béante la porte de son imagination. C’est la seule manière de faire une véritable expérience de lecture.

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Jude l’Obscur – Thomas Hardy

Jude l’obscur est publié en 1895. Ecrit par Thomas Hardy. Un auteur malheureusement un peu méconnu aujourd’hui, ce qui est d’autant plus étonnant que plusieurs de ses œuvres, dont Jude l’Obscur, ont été adaptées au cinéma.

Jude l'Obscur

Pour la petite histoire, il est initialement paru sous forme de feuilletons.

À sa sortie, il fait scandale et sera même brûlé en public.

C’est le roman le plus sombre de Thomas Hardy, et aussi son dernier.

L’histoire

Un roman troublant. Sombre et triste. Mais aussi romantique et surtout très émouvant.

Une magnifique histoire d’amour mais aussi une grande histoire sociale.

Bien qu’il ait donné son titre au livre, Jude l’Obscur n’est pas seulement l’histoire de Jude. C’est aussi celle de Sue. De leur amour, de leur misère et de leur lutte contre l’ordre social établi. Les institutions comme le mariage, mais aussi la religion et les classes sociales.

Jude voudrait entrer à l’université. Il étudie, seul dans son coin tout en essayant de gagner maigrement son pain. Mais quand se procurer des livres est déjà un obstacle, se hisser au-dessus de sa condition sociale paraît impossible.

Sue de son côté refuse la soumission qu’impose sa condition de femme. Intelligente, instruite, ouverte d’esprit, elle cherche à s’affranchir de la société et surtout des règles qu’on lui impose en tant que femme. Raison pour laquelle elle refuse le mariage. Un personnage qui semble taillé sur mesure pour plaire aux féministes. 

Il faut bien comprendre qu’à l’époque, vivre hors mariage est un crime. Mais Sue a ses convictions et préfère vivre dans ce que la société considère comme un péché plutôt que de sacrifier son indépendance.

Malheureusement, Jude et Sue ne font pas le poids face à cette société. Qu’ils s’y soumettent ou non, ils n’y échapperont pas.

Je vous l’ai dit, c’est une histoire triste. Peut-être la plus triste et émouvante que j’ai jamais lue.

Jude et Sue ne sont pas de taille face à cette société qui va littéralement les broyer.

Critique sociale

À la base, Thomas Hardy voulait montrer au monde les difficultés que rencontraient les non-privilégiés qui, à l’époque, désiraient s’instruire.

Le roman va toutefois bien au-delà puisque la critique de l’institution du mariage est aussi centrale que celle de l’éducation et de la classe sociale.

La question que pose le roman, c’est au fond celle de savoir s’il est possible d’être différent. Et si oui, dans quelle mesure.

Parce qu’être différent, c’est remettre en cause les choix de la société, de l’ordre établi.

Si l’éducation et le mariage ne sont plus aussi rigides qu’à l’époque, la question demeure toutefois d’actualité. On peut en effet se demander s’ils ne pourraient pas aujourd’hui être remplacés par d’autres phénomènes tels que la mode, le consumérisme ou les réseaux sociaux.

Jude l’Obscur évoque aussi, dans ce contexte, la complexité de l’homme qui, alors qu’il est convaincu lui-même de vouloir une chose se laisse parfois détourner de ses objectifs. Il montre le tiraillement de l’homme entre ses rêves lointains et ses plaisirs immédiats. Les déchirements de l’âme humaine que ces tensions engendrent. Sur ce point encore, le roman demeure éminemment moderne.

Le pessimisme de Jude l’Obscur

Comme je l’ai déjà dit, le roman n’est pas très optimiste. L’histoire ne donne aucun espoir.

Généralement, je n’aime pas tellement les histoires aussi tristes. J’ai besoin d’espoir. De croire qu’il y en a toujours. Pourtant, j’ai été profondément marquée par Jude l’Obscur. L’histoire est poignante et on ne peut pas regretter de se plonger dans un tel récit.

Peut-être est-ce parce que l’espoir est à trouver ailleurs. Dans l’impact que ce récit ne peut manquer d’avoir sur le lecteur. Jude l’Obscur ne peut que le révolter, lui donner envie d’être meilleur et peut être de tenter pour sa part de changer ce qu’il peut.

Peut-être que ce que Thomas Hardy tente de nous dire c’est : voyez comme ils ont été broyés par la société. Vous sentez que c’est injuste. Et triste, et qu’on ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir essayé. Alors réveillez-vous.

À l’époque les gens se sont sentis insultés. Ils n’ont pas supporté et le roman a fait scandale.

Aujourd’hui, avec l’évolution des mentalités, le roman ne nous parait plus scandaleux. Mais il n’empêche que son effet coup de poing demeure intact. Peut-être même est il plus utile de nos jours, avec plus de recul. Quelque part, Thomas Hardy était un peu trop en avance pour son époque.

Quoiqu’il en soit la lecture de Jude l’Obscure continue de faire réfléchir.

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Le roman-feuilleton ou la revalorisation du populaire

Le roman-feuilleton

Le roman-feuilleton n’est pas un genre, mais une forme.

Le roman-feuilleton et la critique

Il y a beaucoup de choses à dire sur le roman-feuilleton. Rappelons juste que c’est un phénomène éditorial qui s’est développé au début du 19ème siècle et qui a rencontré un grand succès auprès du public.

La critique n’a jamais été très favorable à cette forme littéraire qu’elle a toujours considérée comme étant de piètre qualité.

La critique dénonçait son caractère « mercantile » qui contraignait les auteurs à développer une littérature « racoleuse » pour maintenir l’attention du lecteur ou, à tout le moins susciter son impatience de découvrir la suite.

Ce que la critique reprochait surtout au roman-feuilleton, c’est son côté « populaire ». La critique n’aime pas beaucoup ce qui est populaire. Elle considère généralement que popularité et qualité sont antinomiques.

Avec le recul, on constate que nombre de romans feuilletons du 19ème sont aujourd’hui considérés comme de grands classiques. Il suffit de se rappeler que des auteurs tels que Eugène Sue, Honoré de Balzac et George Sand ont publié une grande partie de leur œuvre sous cette forme.

Le roman-feuilleton aujourd’hui

Aujourd’hui, on peut dire que le roman-feuilleton survit d’une certaine manière à travers les séries télévisées. Et, comme à l’époque, il y a du bon et du moins bon. 

Il semble qu’il y ait actuellement un regain d’intérêt pour le genre. C’est ce qui explique pour certains l’intérêt du public pour des œuvres comme celles de Virginie Despentes ou d’Elena Ferrante.

Personnellement, je ne considère pas que ce qui caractérise le roman -feuilleton soit la récurrence des personnages, mais bien au contraire, le mode de diffusion qui impose au lecteur ou au spectateur une coupure dans le récit. Un séquençage qui a généralement tendance à exciter son envie de connaître la suite de l’histoire.

D’après moi, si « L’amie prodigieuse » et « Vernon Subutex » sont, sans conteste des séries, ce ne sont donc pas pour autant des romans feuilletons, puisqu’on peut les lire sans « interruption forcée ».

Revaloriser le populaire

Que ces oeuvres puissent ou non être qualifiées de romans feuilletons n’est finalement pas ce qui compte.

Ce qui importe, c’est de se demander ce qu’exprime ce succès. Or, selon moi, ce qu’il révèle, c’est l’expression de la volonté du public de revenir à la fiction. Fiction que la littérature, ces dernières années, a peut-être un peu trop « snobé » avec ses idées de « nouveau roman » et compagnie.

Ce que le public manifeste, c’est un ras-le-bol de cette littérature élitiste qui, au motif qu’elle est chiante se considère comme supérieure et méprise la littérature populaire qu’elle dénigre et juge « trop facile ». Oubliant que la lecture est avant tout un plaisir. Pas une torture intellectuelle.

Rappelons que beaucoup d’artistes dont le génie aujourd’hui n’est plus contesté étaient, à leur époque, considérés comme « populaires » : Mozart, Beethoven, Dickens, Zola, Victor Hugo, Flaubert et on pourrait continuer la liste longtemps.

Le roman-feuilleton

Pour l’anecdote, en 1862, la sortie de la deuxième partie des Misérables a provoqué un attroupement qui, pour l’époque, est comparable à la ruée des consommateurs dans une boutique Apple à la sortie du dernier IPhone . En huit jours, il a fallu réimprimer le roman cinq fois !

Et que dire de Madame Bovary que les élites littéraires actuels qualifient de grande littérature alors qu’à l’époque, le public a bien mieux accueilli l’œuvre de Flaubert que la critique.

Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas parce qu’un roman procure du plaisir qu’il manque forcément d’intelligence ou de pertinence.

Qui oserait d’ailleurs dire le contraire et reconnaître en même temps le génie, l’intelligence et la pertinence de Victor Hugo ?

Le roman-feuilleton et le web

Certains auteurs profitent des possibilités que leur offre le web pour effectivement réactualiser le roman-feuilleton.

Il y en a d’ailleurs toute une série disponible gratuitement sur internet.

Notons à ce propos que puisque ces romans feuilletons n’ont pas de visées mercantiles, la critique du 19ème siècle relative au caractère trop commercial du genre n’est donc plus vraiment d’actualité.

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Melmoth – Charles Robert Maturin

Melmoth, publié en 1820 est un grand roman, généralement comparé à Faust de Goethe. Malgré le succès qu’il aura au 19ème (et même au début du 20ème) et son influence sur de nombreux auteurs demeurés célèbres aujourd’hui (Balzac notamment), il n’a malheureusement pas traversé la culture populaire (mais nous pouvons toujours faire changer les choses).

Melmoth

Le roman est très long, 807 pages chez Libretto.

C’est l’histoire d’une âme damnée, celle de Melmoth. Une histoire qui n’est pas de celles qu’on résume.

Les huit cent pages du roman défilent facilement. Il y a peut-être juste quelques passages un peu plus longs ou lents au milieu du roman, mais qui n’enlèvent rien à sa qualité et permettent peut-être au lecteur de souffler un peu. Parce que les histoires de Melmoth sont particulièrement sombres et tragiques.

Les histoires de Melmoth

Ce n’est pas une faute, j’ai bien écrit les histoires au pluriel. Parce que c’est effectivement au travers de différents récits que l’on découvre progressivement Melmoth.

C’est ce qu’on appelle un roman à tiroirs. Un récit construit comme des poupées russes. Un personnage rencontre un personnage qui lui raconte une histoire. Dans cette histoire, un personnage raconte lui-même une autre histoire, dans laquelle un nouveau personnage raconte à son tour une histoire, et ainsi de suite.

Il y a au total six récits. Et si l’histoire de Melmoth constitue le fil conducteur du roman, chaque récit pourrait à lui seul former un roman. On a donc l’impression de lire plusieurs récits successifs.

Si ce procédé offre l’avantage au lecteur de découvrir Melmoth à travers des voix narratives très différentes, il peut néanmoins avoir quelque chose de déroutant voir de frustrant. On quitte, parfois un peu brusquement, une histoire pour se plonger dans une autre.

Et si c’est frustrant, il faut le dire, c’est surtout parce que l’auteur prive le lecteur de récits de qualité qu’il regrette d’être contraint de quitter.

La frustration est peut-être aussi provoquée par la relative absence de Melmoth dans ces différents récits. Il est toujours présent, certes, mais il est, d’une certaine manière, secondaire, voire même parfois, effacé.

Encore un tour de force d’ailleurs de construire la vie d’un homme à partir de récits dans lesquels cet homme intervient comme personnage qu’on pourrait presque qualifier de secondaire.

L’ensemble prend néanmoins tout son sens au fur et à mesure de la lecture.

Un roman protéiforme

S’il s’agit sans conteste d’un roman gothique, on le qualifie aussi généralement de fantastique et de romantique.

Roman gothique

Tous les éléments du gothique sont en effet présents dans Melmoth : l’ambiance, la présence de la nature, du mystère et surtout, des ténèbres. On y retrouve absolument tout, l’auteur ne nous épargne rien : prisons de l’inquisition, passages secrets, ruines, châteaux sombres, cachots, monastères austères, cimetières, orages, tempêtes, etc.

Tension entre fantastique et réalisme

Le roman est également souvent qualifié de fantastique en raison du personnage même de Melmoth. C’est pourtant pratiquement le seul élément fantastique du roman. Ce qui en fait d’ailleurs probablement toute sa force.

L’auteur fait en effet évoluer Melmoth dans un monde qui s’assimile à celui du lecteur.

Or, ce contraste entre Melmoth, personnage maléfique imaginaire et le contexte réaliste du roman crée une tension particulièrement intéressante, puisqu’elle renforce l’« effet miroir » de la lecture. Le lecteur ne peut effectivement pas se retrancher derrière le caractère exagérément fantastique du récit pour s’épargner certains questionnements que ce dernier lui pose.

Melmoth : un personnage romantique

Nous avons vu que les éléments gothiques et romantiques présentent beaucoup de similarités. Ce n’est donc pas étonnant que le roman puisse être à la fois qualifié de gothique et de romantique.

Néanmoins, je préciserais que si le roman est incontestablement gothique par son ambiance ou disons, plus généralement, par sa forme, Melmoth, lui, est incontestablement un personnage romantique.

Certes, Melmoth est un suppôt de Satan, l’incarnation du mal. Un personnage que tout le monde craint.

Néanmoins, nous découvrons un personnage tiraillé d’envies et de sentiments contradictoires. Donnant une apparence d’insensibilité totale mais dont le lecteur sent pourtant très clairement toute la souffrance. Melmoth est à la fois cynique et mélancolique. Indifférent et passionné.

Le personnage est à ce point bien réalisé que le lecteur finit par se surprendre à le plaindre, voire même à s’y identifier. Parce qu’il incarne toutes les contradictions insolubles de l’homme.

Melmoth se montre donc plus complexe qu’il n’y paraît. Un être humain avant tout. Un homme qui a cédé à ses faiblesses et vendu son âme au diable. Mais le lecteur le sent, ces faiblesses sont le lot de chacun. Chaque être humain sur terre partage les faiblesses de Melmoth.  Melmoth est notre part de ténèbres à tous.

Thèmes abordés

Parmi les thèmes abordés, il y a certes une critique sociale de l’Angleterre du 19ème ainsi qu’une remise en cause de l’Eglise.

Si ces thèmes sont historiquement intéressants, ce qui contribue selon moi à l’intemporalité de Melmoth, ce sont les questions que le roman soulèvent concernant l’homme, et plus particulièrement, ses contradictions et sa spiritualité.

Les problèmes qu’ils soulève concernant l’humanité, la part d’ombre en chacun de nous et les possibilités de la gérer demeurent en effet éminemment contemporaines. Et c’est, je pense, surtout pour cette raison qu’il a tant influencé les grands auteurs du 19ème siècle.

Disponible en ligne gratuitement

Pour les adeptes de la lecture numérique, sachez que Melmoth est disponible gratuitement en ligne : feedbooks

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La vraie vie de Sebastian Knight – Vladimir Nabokov

La vraie vie de Sebastian Knight

La vraie vie de Sebastian Knight est un court roman (309 pages chez folio) écrit par Vladimir Nabokov en 1941. Malheureusement moins connu que Lolita, roman auquel on pense directement quand on parle de cet auteur.

La vraie vie de Sebastian Knight

Un roman court donc, mais un très grand roman. Et relativement facile à lire, ce qui, évidemment, n’enlève rien à sa qualité, que du contraire.

En effet, si La vraie vie de Sebastian Knight se lit facilement, il n’en reste pas moins que le style, les images, les associations de mots demeurent particulièrement savoureuses. Et elles sont d’ailleurs parfois plus compliquées qu’elles n’y paraissent. Elles ont toutefois l’avantage de ne jamais ralentir ni appesantir la lecture.

À titre d’exemple, au début du roman, Vladimir Nabokov parlant du mouvement d’un fiacre le décrit comme « d’une mnémonique banalité ». Facile de passer outre mais possible aussi de méditer quelques instants sur une telle association de mots.

Notons enfin pour être complet que si Vladimir Nabokov est un écrivain russe, il a écrit La vraie vie de Sebastian Knight en anglais (son premier roman en anglais).

L’histoire

Qui est Sebastian Knight, ou plutôt qui était-il ? C’est la question à laquelle va tenter de répondre son demi-frère en partant sur ses traces.

À travers les livres qu’il a écrits, puisque Sebastian Knight était écrivain, mais également à travers les lieux qu’il a fréquentés et les gens qu’il a côtoyés.

Le narrateur tente de comprendre ce frère mystérieux qu’il a toujours admiré sans le connaître vraiment et avec lequel il avait une relation toute aussi étrange, marquée sous le sceau des rencontres « manquées ». Rencontres manquées particulièrement touchantes, surtout la dernière.

Voyez vous-même comment le narrateur parle d’une de ces rencontres manquées : « Tout à coup, sans la moindre raison, je me sentis infiniment triste à son sujet et un vif désir me vint de lui dire quelque chose d’authentique, quelque chose d’ailé et de tout palpitant, mais les oiseaux que j’appelais ne vinrent se poser sur ma tête et mes épaules que plus tard, lorsque je fus seul et n’eus que faire des mots ». Émouvante manière de dire qu’on n’a pas su trouver ses mots n’est-ce pas ?

Le narrateur va donc mener son enquête, mais les pièces qu’il récolte ne semblent pas s’imbriquer. Certaines sont même totalement contradictoires. Et puis il y a des trous, des pièces qui manquent.

S’il ne s’agit pas d’une enquête telle qu’on la conçoit généralement dans les romans d’aventure, il n’empêche que l’intrigue nous tient. Au bout du compte, le narrateur n’apprend pas grand-chose sur Sebastian Knight, mais ce qu’il apprend et que le lecteur découvre avec lui est peut-être autrement plus fondamental et intéressant.

Le mystère

La Vraie vie de Sebastian Knight dénonce le vrai, l’illusion de la certitude. La seule vérité qui nous soit saisissable est qu’il n’y en a pas, que la vie, les gens demeureront toujours pour les pauvres êtres que nous sommes, un mystère.

On ressent cette incertitude d’emblée, lorsque le narrateur commence à nous parler de son frère. Il essaie de se rappeler et fait, à propos de ses souvenirs, cette remarque qui en elle-même contient déjà tout le roman : « je ne puis dire si je tiens ce renseignement de ma mère, ou s’il m’est fourni par le souvenir, demeuré dans mon subconscient, de quelque instantané jauni, vu dans l’album de famille. »

Tout est fiction. Une fiction créée par notre subjectivité. Et, comme le dit Vladimir Nabokov : « peut-être sommes-nous lui et moi, un autre, qu’aucun de nous deux ne connait ».Lui aussi plaidait donc pour la fiction.

Il nous invite donc à remettre en question notre idée du vrai. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui pourrait même l’être ou, à tout le moins, comment ce vrai pourrait-il nous être accessible à nous qui ne voyons jamais la vie que d’un côté, celui de notre subjectivité. À ce sujet, Vladimir Nabokov nous donne un conseil : « ne sois pas trop assuré d’apprendre de l’intermédiaire le plus honnête. Ne perds pas de vue que tout ce qu’on te dit est en réalité triple : façonné par celui qui le dit, refaçonné par celui qui l’écoute, dissimulé à tous les deux par la mort de l’histoire ».

Affinités avec le roman gothique

Si La vraie vie de Sebastian Knight ne me semble pas pouvoir être qualifié en tant que tel de roman gothique, il faut néanmoins reconnaitre qu’il présente certaines affinités avec le genre.

Dans le sujet d’abord, puisqu’en démontrant l’incapacité humaine à connaitre ou à appréhender le vrai, il reconnait que la vie, les gens auront toujours une part de mystère. Thème gothique par excellence.

Dans la forme ensuite, puisqu’il faut reconnaître que l’on retrouve dans La vraie vie de Sebastian Knight une ambiance envoûtante qui frôle parfois le surnaturel.

Pour conclure

La vraie vie de Sebastian Knight n’est pas un roman d’aventure, ne vous y trompez pas. Mais la lecture en est une.

Effectivement, même s’il y a une certaine lenteur dans le roman, le lecteur en est à peine conscient, tant l’écriture de Vladimir Nabokov est envoutante.

En outre, compte tenu des questions qui sont soulevées, cette lenteur me semble indispensable pour permettre au lecteur son propre cheminement de pensée.

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Choisir un livre : Trucs & Astuces

Choisir un livre

Choisir un livre, ce n’est pas toujours facile. D’abord il y en a beaucoup et puis on se met parfois un peu la pression pour faire de la lecture une activité « rentable ».

Choisir un livre

Lire c’est rêver. Rêver c’est un droit universel. Je regrette d’ailleurs que ce ne soit pas inscrit dans la déclaration des droits de l’homme.

La lecture, c’est pour tout le monde. Et ce qu’il y a de formidable avec les livres, c’est qu’il y en a pour tout le monde.

Prendre de conscience de ce qui vous plait

L’important c’est de choisir un livre qui vous convienne.

Vous avez déjà lu des livres. Essayez de vous souvenirs de ceux qui vous ont plu et pourquoi. Essayez de prendre conscience de ce qui vous plaît.

Était-ce l’atmosphère ? L’intrigue ? Le style ?

Pensez aussi aux livres qui vous ont particulièrement déplu. Qu’est-ce que vous n’avez pas aimé ? Trop lent ? Trop descriptif ou contemplatif ou au contraire pas assez vraisemblable ?

Êtes-vous sensible à certains univers ? L’espionnage ? L’introspection ? Les lumières ? Le moyen-Âge ? Les vieux orphelinats glauques ? La résistance ? La nature ?

Aimez-vous quand ça part dans tous les sens ou au contraire préférez vous des histoires plus calmes et peut-être plus profondes ?

Essayer de répondre à toutes ces questions avant de choisir un livre.

Tenez compte de votre état d’esprit

N’oubliez- pas que, si vous adorez les romans qui se déroulent au Moyen-Âge par exemple, vous devez aussi tenir compte de votre état d’esprit. Il est possible qu’en ce moment, même si vous raffolez de ce genre, vous n’ayez pas du tout envie de vous plonger dans un roman historique.

Il faut en tenir compte au moment de choisir un livre. D’autant que cela vous permettra peut-être de vous laisser surprendre.

Renseignez-vous mais débarrassez-vous de tout préjugé

C’est à vous que la lecture doit procurer du plaisir. Peu importe qu’il en ait procuré aux journalistes, aux critiques, à bobonne ou à votre meilleure amie. Ces éléments ne sont pas suffisants pour vous garantir qu’un livre est fait pour vous.

Avant de choisir un livre, renseignez-vous sur le style, l’intrigue, les éventuelles longueurs afin de savoir si le livre est susceptible de vous plaire par rapport à vos propres critères.

Mais pour bien choisir un livre, il faut laisser tomber les jugements de valeur.

Vous trouverez toujours des gens qui ont aimé tel livre et d’autres qui l’ont détesté. Un livre n’est jamais « bon en soi ».

La question est de savoir s’il peut vous plaire à vous. C’est la seule et unique chose qui compte.

N’ayez pas trop peur des classiques. On les assimile souvent à des lectures ennuyeuses, mais beaucoup de contemporains sont mille fois plus ennuyeux que les classiques. Ne vous laissez pas impressionner.

Avant de choisir un livre, il faut accepter de les mettre tous sur un pied d’égalité. Tant pis si je choque. Mais en votre qualité de lecteur, à la recherche de votre prochaine expérience, vous avez le droit de mettre Eric-Emmanuel Schmidt au même niveau que Proust, à savoir celui d’une lecture potentielle pour vous.

Vous ne faites pas une thèse. Vous n’êtes pas critique littéraire. Vous cherchez juste à commencer une expérience qui vous corresponde. A vous. Et choisir Proust ne fera pas de vous une meilleure personne. Tout comme choisir Danielle Steel ne fera pas de vous une moins bonne personne.

La seule chose qui peut vous amoindrir, c’est de manquer d’authenticité dans le choix de votre livre. Parce que vous risquez de vous priver du plaisir de lire voire de vous dégoûter de la lecture.

Et la couverture on en parle?

Je ne vais pas vous mentir, je suis sensible à la couverture. J’ai l’impression que c’est un premier plongeon dans l’univers de l’auteur.

Néanmoins, je ne pense pas que ce soit un élément décisif pour choisir un livre. Il faut en effet se méfier. Beaucoup de maisons d’édition imposent les couvertures aux auteurs qui n’ont pas grand-chose à dire (c’est pareil avec le titre d’ailleurs).

La couverture n’est donc pas toujours un bon indicateur. N’hésitez donc pas à passer outre si le livre vous attire.

Un petit mot à ce sujet en ce qui concerne les livres auto-édités. Lorsque le livre est auto-édité, l’auteur conserve toute la maîtrise de son œuvre, et donc choisit librement la couverture de son roman. Dans ces cas-là, l’indication est déjà plus pertinente bien entendu.

Faites un test avec les premières pages

Avant de choisir un livre, lisez-en quelques pages. Ce sera beaucoup plus efficace que la couverture.  Au début, au milieu, à la fin. Comme vous voulez. Personnellement je prends toujours le début afin de vérifier si je rentre rapidement dans l’histoire. Mais j’ai une amie qui lit toujours les dernières pages. Personnellement je ne pourrais pas, mais comme je vous le disais chaque lecteur est différent.

Lire quelques pages vous permettra de vous faire assez rapidement une idée du style.   

Prenez du plaisir et fiez-vous à votre instinct

Amusez-vous. Ne vous mettez pas la pression. Considérez le choix de votre prochain livre comme une aventure en soi.

Surtout, faites-vous confiance. Au fond de vous, il y a une petite voix qui vous dit des choses. Ecoutez-la. N’ayez pas peur, vous ne prenez aucun risque, parce que vous avez tout à fait le droit de vous tromper.

Enfin, je risque de vous surprendre, mais la vie est une coquine. Il lui arrive plus souvent qu’on ne le croit de nous donner des signes. Un livre dont plusieurs personnes nous parlent. Un article qui arrive par hasard entre nos mains. Soyez réceptifs aux signes et laissez-vous surprendre.

Ne culpabilisez pas

Je le répète. La lecture est un plaisir. Pas un devoir ni une obligation.

C’est avec les mauvaises expériences de lecture qu’on se coupe du plaisir de lire. Il faut absolument les éviter. Ça ne vous plaît pas ? Balancez. Prendre du plaisir est primordial.

N’hésitez pas à abandonner un livre qui vous ennuie. Comme disait Borges, s’il vous ennuie c’est qu’il n’est pas fait pour vous. J’ajouterais que ce n’est peut-être juste pas le moment. Dans quelques années, le livre pourrait vous passionner, mais aujourd’hui il n’est pas pour vous, alors laissez-le. Vous pourrez toujours y revenir plus tard.

Vous n’avez pas de temps à perdre n’est-ce pas ?

Comme je l’ai déjà dit, et encore une fois au risque de choquer la bonne société, n’hésitez pas à sauter les descriptions ou les passages qui vous ennuient. Si le livre vous plaît, ce serait dommage de l’arrêter pour quelques passages ennuyeux. Et entre nous, il est inutile de forcer votre esprit à se concentrer sur quelque chose qui le lasse. Il aura vite fait de s’échapper et pendant que vous lirez mécaniquement ces passages, il pensera à ce qui vous reste encore à faire ou à ce que vous avez oublié. Bref, ça ne sert à rien de se forcer. Au contraire, ça ne fera que diminuer la qualité de votre expérience et la puissance du rêve.

Quelques considérations pratiques

Vous me direz que, si vous devez acheter dix livres avant de tomber sur le bon et qu’en plus vous n’êtes attirés que par des grands formats, ça va vite vous coûter cher cette histoire.

Mais qui vous demande d’acheter des livres neufs ? Les boutiques de seconde main sont plus concurrentielles qu’Amazon à cet égard.

Vous trouverez facilement des livres de poches à 2 ou 3 EUR. Et s’ils ne vous plaisent pas, vous pourrez aller les revendre dans cette même boutique. Probablement pour un prix inférieur à ce que vous l’avez acheté, mais tout de même, ça réduit considérablement la dépense. En Belgique, nous avons les magasins Pêle-Mêle qui font du « recyclage culturel », mais vous n’aurez pas de difficultés à trouver des livres d’occasion dans quantité d’autres endroits (petits riens, brocantes, boîtes à livres, etc.).

N’hésitez pas non plus à les emprunter. Vous devez bien avoir parmi vos amis ou dans votre famille quelques lecteurs compulsifs qui seront ravis de partager.

Si vous n’avez pas encore trouvé votre bonheur, il vous reste toujours les bibliothèques.

Pour les adeptes de la lecture numérique

Si la lecture numérique ne vous dérange pas (moi j’avoue que j’ai un peu du mal mais chacun son truc), sachez que les livres libres de droits, et donc beaucoup de classiques, sont disponibles gratuitement (ou presque) en version digitale.

N’hésitez pas non plus à vous intéresser aux livres auto publiés, généralement beaucoup moins chers. Il y en a de plus en plus, et s’ils ne sont pas tous bons (comme ceux que vous trouverez dans les librairies d’ailleurs), il est tout à fait possible que vous trouviez votre bonheur. Encore un petit mot d’une plateforme tout à fait particulière concernant les auteurs qui envisagent l’autoédition ou disons une forme d’édition plus moderne : la plateforme Read&Rate.  

Il s’agit d’une plateforme qui réunit des auteurs et des lecteurs. Le procédé est simple. Les auteurs chargent le début de leur roman et les lecteurs inscrits sur la plateforme peuvent les lire gratuitement. Si le début leur a plu, ils pourront lire la suite pour moins de 5 EUR.

Je félicite ce genre d’initiative, et je pense sincèrement qu’elle représente le futur de l’édition.

Pour finir

Choisir un livre, c’est important, mais quand ce sera fait, et si le livre vous plait, n’oubliez pas de vous forcer à lire tous les jours, pour ne pas décrocher.

Et si vous pensez manquer de temps, retournez lire mes trucs et astuces.

Besoin de conseils?

Des livres, c’est vrai qu’il y en a beaucoup, et ce n’est pas toujours évident de s’y retrouver, même avec ces petits conseils.

Vous avez l’impression d’être submergé? Vous aimeriez un peu d’aide pour dépatouiller tout ça? N’hésitez pas à me contacter. Je partagerai volontiers mon expérience et mes connaissances avec vous.

Rendre aux gens ce trésor qu’est la lecture est presque une mission de vie pour moi. Moquez-vous. Qu’importe. Moquez-vous. Mais contactez-moi si vous pensez que je peux vous aider. Il y a mille livres à découvrir et si je peux y contribuer, ce sera un vrai bonheur. Je vois que vous êtes timide, alors je vous remets mon adresse mail au cas où : ecrivez.moi@nevrosee.be

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Sans nom – Wilkie Collins

Sans nom, publié en 1862 est un gros roman, 829 pages aux éditions Phébus libretto.

Sans nom - Wilkie Collins

Wilkie Collins est un écrivain britannique de l’époque victorienne, contemporain et ami de Dickens (ils ont même écrit un livre ensemble). Généralement considéré comme le père du roman policier quoique malheureusement trop méconnu.

Si Wilkie Collins était en effet aussi populaire que Dickens à l’époque victorienne, il est aujourd’hui moins connu que son ami. Un des grands mystères de la postérité.

Il semblerait que Sans nom soit, parmi les romans de Wilkie Collins, celui que préférait Dickens.

L’histoire

Un début un peu lent

J’ai trouvé les deux cent premières pages assez longues. Wilkie Collins nous dépeint pendant toutes ces pages la vie d’une famille heureuse où grosso modo tout se passe pour le mieux.

En effet, la famille Vanstone, les parents et leurs deux filles, vivent un bonheur complet. La famille est aisée, privilégiée, et tout le monde s’aime.

À ce tableau familial idyllique, il faut ajouter une gouvernante qui fait presque partie de la famille et qui d’ailleurs est restée au service des Vanstone alors que les filles n’avaient plus besoin de gouvernante depuis longtemps.

Hormis quelques petites histoires somme toute assez banales et une description des liens entre ces différentes personnes, j’ai trouvé qu’il ne se passait pas grand-chose durant ces premières pages.

C’est là qu’on se rend compte que le lecteur est un personnage compliqué. Il n’aime pas quand ça se passe mal, souffre avec les personnages, mais quand tout se passe bien, il s’ennuie.

À la fin du livre, je me suis demandé sincèrement si ces pages étaient de trop, et je dois vous avouer que non. Elles permettent en effet au lecteur de mieux comprendre la complexité autant de l’intrigue que des personnages. Et si le lecteur accepte de faire preuve de patience, je lui garantis qu’il sera récompensé de ses efforts.

Quand l’histoire bascule

Wilkie Collins nous dépeint donc pendant approximativement deux cent pages un bonheur presque complet. À la limite du tableau naif.

Mais tout d’un coup, l’histoire bascule avec la mort inopinée des parents Vanstone. Dès cet instant, le lecteur n’aura de répit qu’une fois le roman terminé. Et quand ce sera fini, il ne pourra s’empêcher de le regretter.

Vous vous demandez peut-être pourquoi la mort des parents Vanstone fait basculer la vie de leurs filles. Ils étaient riches et leurs filles à leur mort devraient hériter de leur fortune et être ainsi à l’abri du besoin pour épancher leur tristesse.

Ça ne sera pourtant pas le cas. La mort des parents Vanstone prive les sœurs Vanstone non seulement de leur affection mais les dépossède aussi de toute leur fortune et même de leur nom, ce qui, à l’époque, signifie leur identité.

Les sœurs Vanstone ne se retrouvent pas ainsi dépossédées en raison d’un « complot fomenté par des gens du meilleur monde » comme l’indique erronément la quatrième de couverture mais en raison d’une conséquence absurde du système juridique de l’époque. Ce faisant, Wilkie Collins renforce sa critique de la société victorienne.

Je ne vous en dirai toutefois pas plus sur cette question afin de ne pas priver le lecteur, qui souhaiterait lire le livre, du plaisir de découvrir lui-même les raisons de ces circonstances malheureuses pour les sœurs Vanstone.

Une histoire de vengeance

Les sœurs Vanstone sont très différentes. La première, Norah, est raisonnable, posée et accepte son sort avec résignation. La seconde, Magdalen, est fougueuse, légèrement orgueilleuse et, à l’inverse de sa sœur, refuse de se soumettre à un sort qu’elle estime injuste. Elle projette donc de se venger.

Dès cet instant, Sans nom devient une histoire de vengeance. La vengeance d’une femme qui est prête au pire pour réparer l’injustice donc elle estime être victime.

Et de complots en complots, Sans nom, qui ressemblait jusque là à une douce ballade, tient le lecteur par les tripes pour ne plus le lâcher.

Wilkie Collins est un tisserand. Il jongle admirablement avec les éléments du récit. Pèse ce qu’il dévoile et ne dévoile pas, donnant ainsi l’occasion au lecteur de participer à la création de l’histoire, ce qui crée l’attachement à la lecture. Le lecteur anticipe. Parfois il est dans le bon, parfois pas. Il joue avec sa propre imagination, qu’il tente de faire dialoguer avec celle de l’auteur.

Certains regrettent le côté ‘fleur bleue’ de la fin de Sans nom. Personnellement, je trouve plutôt réconfortant que Wilkie Collins arrive à tirer une fin positive d’un roman aussi noir.

La construction du récit

Si la majeure partie du récit nous est racontée par un narrateur extérieur, de manière somme toute assez classique, elle présente toutefois deux caractéristiques intéressantes.

La première est de découper la narration de manière « géographique ». Liant de cette manière l’évolution de l’histoire à des lieux très précis.

La deuxième particularité est d’avoir entrecoupé chaque bloc de narration géographique par ce que l’auteur appelle des « intermèdes ». A savoir, des lettres envoyées par les différents protagonistes de l’histoire.

Le procédé permet au lecteur de pénétrer le point de vue des différents protagonistes du récit et donc de se faire une idée plus riche de l’histoire, d’élargir son point de vue et de se forger ainsi sa propre opinion.

Les personnages

Les personnages, comme toujours chez Wilkie Collins, sont attachants et crédibles.

Il parvient à rendre drôles et sympathiques des personnages à la moralité douteuse. Le capitaine Wragge que je vous laisse découvrir si vous décidez de lire le livre est un personnage objectivement méchant et méprisable, mais il est peut-être le plus drôle et le plus touchant du récit.

Par ailleurs, en nous présentant au début du récit Magdalen comme une jeune fille innocente et pure quoique légèrement fougueuse, Wilkie Collins nous montre la part d’ombre que recèle toute âme humaine.

Pour conclure

Wilkie Collins est un Maître magicien. Il fait défiler les pages, emporte le lecteur d’un bout à l’autre des possibles, fait disparaître ses descriptions grâce à l’intensité de son récit. Je suis d’ailleurs toujours étonnée quand un lecteur me dit avoir trouvé les descriptions trop longues tant je ne me suis même pas aperçue qu’il y en avait.

Il parvient en outre à mettre de l’optimisme et de l’espoir dans un roman noir.

S’il abuse parfois du hasard, le style, la narration, les personnage et l’intrigue, tout est admirablement travaillé. Ce qui ne l’empêche pas, au contraire, de convoquer sans arrêt l’imagination du lecteur pour le tenir en haleine. Et intégrer littéralement le lecteur à la création du récit.