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Lignes de faille – Nancy Huston

Lignes de faille est l’un de mes romans contemporains préférés. Écrit par Nancy Huston, que j’ai déjà mentionné dans d’autres articles (dans l’article : « Plaidoyer pour la fiction notamment).

Écrivaine franco-canadienne, née au Canada dans les années 50.  Elle est, parmi les auteurs contemporains, une de celles que je trouve la plus intéressante. Passionnée, engagée et en même temps humble. Elle ne prétend rien. Fait preuve, avec beaucoup d’intelligence, d’une authenticité devenue, à mon sens, trop rare dans la littérature française.

Lignes de faille a été publié pour la première fois en 2006. Ce n’est pas un long roman, un peu plus de 370 pages aux éditions J’ai Lu.

Une histoire racontée par des enfants

Lignes de faille est une histoire de famille, racontée par quatre enfants. Quatre enfants issus chacun de générations différentes.

Lignes de faille

Se mettre dans la peau d’un enfant est souvent hasardeux pour un auteur. Peu arrivent en effet à élaborer une voix suffisamment crédible pour que le lecteur y voit celle d’un enfant sans deviner l’adulte qui parle derrière. Mais Nancy Huston y parvient à merveille. Le lecteur y croit. Même si le discours n’est pas pour autant tout à fait enfantin. Au contraire. On pourrait d’ailleurs penser que la maîtrise du langage des narrateurs qui doivent avoir entre 6 et 7 ans pourrait décrédibiliser leur récit mais ce n’est pas le cas. Nancy Huston se tient sur un fil, en équilibre, et le récit tient la route.

Découvrir l’histoire à travers ces voix enfantine permet de capter presque instantanément l’empathie du lecteur. Parce que les enfants suscitent son instinct de protection. Le lecteur est alors plus apte à lui pardonner ses fautes ou défauts de caractère.

La construction du récit

Les récits qui se succèdent, sont incomplets. Comme des prélèvements d’un morceau d’enfance des protagonistes. Le lecteur devra donc recomposer lui-même les événements, dans leur enchaînement, mais également dans leurs relations de causes à effet. Ce dont l’auteur ne parle jamais. C’est une magnifique exécution du principe que tente de suivre tout écrivain : montrer plutôt que dire. Jamais Nancy Huston ne nous dit qu’untel est devenu acerbe parce qu’il à été confronté dans son enfance à de nombreux conflits avec sa mère ou son père, et pourtant, le lecteur en est parfaitement conscient. Mais il le découvre et le comprends lui-même, sans que l’auteur n’ait à le lui expliquer.

Lignes de failles nous montre, tant par son histoire que par sa construction originale, comment des chagrins ou des difficultés vécues par nos ancêtres, même si nous ne les avons pas connus, survivent à travers les générations futures. Par relations, conscientes ou non, de cause à effet. Tel chagrin engendre tel comportement qui conditionne le comportement de la génération suivante et ainsi de suite.

Lignes de faille sort le lecteur de lui-même

Un autre élément intéressant dans la construction du récit est la manière dont l’auteur agence les différentes histoires. On part de l’histoire la plus récente pour remonter à la plus ancienne. Nous retrouvons donc enfants, des personnages que nous avons abordés adultes, indirectement, dans les récits des enfants précédents. Ces personnages, initialement abordés de l’extérieur, à travers la voix d’un enfant sont tout à coup dévoilés au lecteur, non seulement à la première personne, mais également alors qu’il était lui-même un enfant.

Cette manière de procéder confronte le lecteur à ses propres schémas de fonctionnement. En lisant la première histoire, racontée par un enfant, il ne peut s’empêcher, fut-ce inconsciemment, de ‘prendre parti’ voir de juger certains intervenants. Mais le récit suivant est celui de l’un de ces intervenants que le lecteur s’était permis de juger. En découvrant son histoire, il se met à comprendre des actes qu’il a peut-être précédemment mal compris voire jugés absurdes. Il se met alors à relativiser. Se repositionner. Il s’adoucit.

Une humilité qui convoque l’intelligence du lecteur

En se limitant à donner au lecteur tous les ingrédients pour lui permettre de comprendre lui-même ce qu’elle ne dira jamais, Nancy Huston montre qu’elle fait confiance au lecteur. Lui laisse la place qui lui revient dans le récit. C’est en effet au lecteur qu’il appartient de construire la vie des personnages entre leur récit d’enfant et ce que nous découvrons d’eux, adultes, à travers les autres récits.

Par ailleurs, en présentant l’histoire dans un ordre antéchronologique, elle sort le lecteur de ses propres frontières, puisqu’en suscitant successivement, pour un même personnage, des émotions qui se contredisent, elle le force à sortir de lui-même pour analyser sa propre subjectivité et son incapacité à jamais comprendre le comportement des gens, tant leurs sources lui échappent.

Un roman à la fois humble et intelligent. Une magnifique leçon de vie sans prétention moralisatrice.

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Mauprat – George Sand

Mauprat George Sand

Mauprat, dont l’action se situe au 18ème siècle n’est pas un long roman. 434 pages aux éditions folio classique.

Mauprat George Sand

Il aborde des thèmes tels que l’éducation, le féminisme, mais encore, l’égalité. Thèmes qui, on le sait, sont chers à George Sand.

Le roman est ce qu’on appelle protéiforme.

Roman d’amour, roman d’apprentissage, et même, diront certains, roman gothique (avis que je ne partage pas tout à fait comme vous le verrez ci-dessous).

L’histoire

Les Mauprat se partagent en deux branches. L’une honorable, l’autre terrifiante, surnommée d’ailleurs les Coupe-jarret. Des bandits reclus dans leur château sombre et délabré. Débauchés, vivant comme les plus ignobles seigneurs du Moyen-Âge, ne payant ni leurs gens ni leurs dettes et ne reculant devant aucune vilenie pour faire régner la terreur.

Bernard, qui nous raconte son histoire, a été recueilli enfant par les Mauprat Coupe-jarret et va donc grandir entre terreur et violence.

Dès le début du roman, et quoique Bernard fasse preuve d’une grande sévérité envers lui-même, on sent qu’il s’est toujours senti en décalage avec les Mauprat Coupe-jarret. N’ayant toutefois aucun modèle de comparaison, il s’est développé sans prendre conscience de la violence atypique de cette famille. Imaginant que cette manière de vivre était une chose tout à fait normale.

Souvent maltraité, sans personne pour cultiver en lui aucune valeur, il a fait comme il a pu pour survivre. Devenant lui-même brusque et intempérant. Sauvage.

Un jour, les Mauprat Coupe-jarret ramènent au château Edmée, leur cousine issue de la branche honorable de la famille. Alors qu’ils se réunissent pour discuter de son sort, qu’on imagine peu enviable, elle se retrouve seule avec Bernard. Interpellée par la complexité de Bernard, à la fois différent des Coupe-jarret et en même temps emporté et violent, elle tente de l’amadouer pour le convaincre de l’aider à s’enfuir. Bernard, complètement fasciné par cette femme, accepte, à condition qu’elle lui promette de l’épouser.

Pendant qu’ils prennent la fuite, les secours assiègent le château et les Coupe-jarret périssent. 

Bernard est accueilli par Edmée et son père. Il vont le choyer comme un fils, et tenter de l’éduquer.

Bernard rappelle à Edmée sa promesse, mais cette dernière pose son éducation comme condition au mariage.

Influence gothique

On caractérise souvent ce roman de gothique.

Néanmoins, hormis les scènes qui se déroulent dans le château de la Roche-Mauprat qui effectivement est à la fois effrayant et inquiétant, le roman n’est pas en tant que tel « gothique ».

Le reste du roman qui se concentre presqu’exclusivement sur l’éducation de Bernard et l’évolution de sa relation avec Edmée relève plus du romantisme que du gothique. Notamment par la présence importante de la nature dans cette partie du roman et par son aspect plus « contemplatif ».

L’aventure y est également moins développée. On pourrait penser que cette alternation de style engendrerait un déséquilibre, mais George Sand parvient malgré tout à maintenir le lecteur en haleine.

Si le roman est-ce qu’on appelle un roman protéiforme, il me semble toutefois que ce qui domine, c’est l’évolution de Bernard. À ce titre, il me paraît plus opportun de qualifier Mauprat de roman initiatique que de roman gothique.

Roman initiatique

Le thème central abordé par George Sand est indubitablement l’éducation.

Mauprat, c’est avant tout l’histoire d’une humanisation. Humanisation qui, pour George Sand passe nécessairement par l’éducation.

On le sait, George Sand était une fervente admiratrice de Jean-Jacques Rousseau et de son « Emile ». Le roman est empreint de cette influence.

La conception de George Sand telle qu’elle est développée dans Mauprat se distingue toutefois de la thèse de Jean-Jacques Rousseau en ce qu’elle estime qu’un homme n’est ni bon ni mauvais de nature et que seule l’éducation peut le sauver de mauvais instincts ou penchants.

Ce qui ressort également de Mauprat, c’est que George Sand n’envisage pas l’éducation je dirais « ex cathedra », à savoir une éducation froide, impersonnelle. Comme un fichier ou une rame mémoire qu’il suffirait de s’implanter. Non. Pour George Sand, l’éducation nécessite un développement intérieur. Une digestion. Mais aussi une contemplation et une analyse de notre propre fonctionnement. Analyse rendue possible par l’éducation. En d’autres termes, si l’éducation n’est pas suffisante, elle est toutefois nécessaire.

Et on le ressent très bien dans le roman. Bernard acquiert rapidement les rudiments de l’éducation classique. Lire, écrire, étudier les grands philosophes, mais cet apprentissage seul ne lui permet pas de devenir meilleur, plus humain.

Après cet apprentissage, il lui faut encore faire un travail d’introspection, d’intégration des valeurs que l’éducation lui a dévoilées. Il doit en quelque sorte les faire siennes. Et pour les faire siennes, il doit s’interroger sur lui-même. Remettre ses réactions et ses émotions en question.

Féminisme

Edmée, personnage central de Mauprat incarne toutes les idées féministes de George Sand.

Non seulement c’est une jeune femme audacieuse, intelligente, persévérante, mais en plus elle n’hésite pas, malgré son rang et son époque, à défendre des idées d’égalité et d’humanisme.

Elle exige de Bernard qu’il aille toujours plus loin dans son éducation. Intransigeante, elle le pousse dans ses derniers retranchements pour faire de lui un homme toujours meilleur.

Pour conclure

Mauprat aborde des sujets relativement sérieux au travers d’une histoire captivante, pleine d’aventures avec des personnages crédibles et bien construits dont certains, quoique secondaires sont particulièrement singuliers et attachants.

En mêlant plaisir et réflexion, George Sand nous prouve que ce qui est distrayant et agréable peut être intelligent.

Sa vision est par ailleurs profondément humaniste et positive et en ces temps de crise, inutile de dire que ça fait du bien. Jugez-en par vous-même :

« C’est une grande question à résoudre que celle-ci : « Y a-t-il en nous des penchants invincibles, et l’éducation peut-elle les modifier seulement ou les détruire? » Moi, je n’oserais prononcer; je ne suis ni métaphysicien, ni psychologue, ni philosophe; mais j’ai eu une terrible vie messieurs; et, si j’étais législateur, je ferais arracher la langue ou couper le bras à celui qui oserait prêcher ou écrire que l’organisation des individus est fatale, et qu’on ne refait pas plus le caractère d’un homme que l’appétit d’un tigre.

Un classique que je recommande donc au plus grand nombre.

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La Peau de chagrin – Honoré de Balzac

La Peau de chagrin, publié en 1831, fait partie de la grande œuvre de Blazac : la Comédie humaine.

La Peau de chagrin - Honoré de Balzac

Contrairement au reste de son œuvre, La Peau de chagrin avec Melmoth réconcilié est un roman fantastique.

Le roman n’est pas très long : 375 pages aux éditions Folio classique.

L’histoire

Raphael projette de se suicider. Il erre dans Paris en attendant la tombée du jour pour se jeter dans la Seine et se retrouve dans la boutique d’un antiquaire.

Dans la boutique, Raphael est attiré par une Peau de chagrin. L’antiquaire, personnage aussi intriguant que sa boutique, le met en garde contre cette Peau maléfique qui le pouvoir d’exaucer tous vos vœux mais qui resserrera « le cercle de vos jours, figuré par cette Peau».

Le vieillard prévient Raphael :

« Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit. (…) Qu’est ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ? ».

Or, la Peau de chagrin c’est le pouvoir et le vouloir réunis.

Raphael n’y croit pas. Il brave le vieil antiquaire, s’empare de la Peau en lui jetant, en guise de provocation, une série de souhaits exorbitants.

La soirée de Raphael suit son cours, et, progressivement, ses souhaits semblent se réaliser. Au début, il n’y voit que coïncidence. Mais quand un notaire lui annonce qu’il vient d’hériter d’une fortune colossale, il se met à douter.

Conscient que chacun de ses désirs le mènera dorénavant à sa mort, il tente une réclusion volontaire. Limitant le plus possible ses envies et ses souhaits. Ne vivant pour ainsi dire plus.

Pourtant il est tiraillé : faut-il vivre, laisser libre cours à ses désirs, ses passions et sentiments et courir à sa mort ou faut-il renoncer à la vie, se limiter à un état végétatif pour tenter de prolonger sa vie ?

Il est intéressant de constater la transformation de Raphael qui, au début du récit, souhaite se suicider et, en fin de récit tente tout ce qui est possible pour se maintenir en vive, quitte à remplacer la vie par l’existence. Quitte à vivre en étant déjà mort.

Influence

Balzac s’est largement inspiré de l’œuvre de Charles-Robert Maturin, « Melmoth », pour écrire la Peau de chagrin.

Melmoth est un roman gothique qui semble avoir fasciné Balzac qui l’estimait d’ailleurs « égal et par endroits supérieur au Faust de Goethe ».

L’influence se ressent toutefois plus dans le sujet choisi par Balzac que dans la forme.

Hormis les scènes qui se déroulent dans la boutique d’antiquité, on ne retrouve dans La Peau de chagrin aucune atmosphère angoissante ou inquiétante typique du roman gothique. Ce qui relève du mystère, c’est le sujet du récit. Cette Peau maléfique.

Par ailleurs, malgré le caractère fantastique du sujet, l’écriture, le style demeurent balzaciens, c’est-à-dire empreints d’un profond réalisme, ce qui ne participe pas non plus à la création d’une ambiance inquiétante. À tout le moins pas dans le sens où on l’entend s’agissant d’un roman gothique.

Certains trouvent que le roman est trop contemplatif et descriptif. Personnellement je ne l’ai pas ressenti. Ou en tout cas, ça ne m’a pas marqué.

Un roman philosophique

Ce roman peut être qualifié de philosophique en ce qu’il interroge l’homme, ses faux-semblants, son manque d’authenticité envers autrui autant qu’envers lui-même, la perversité de ses désirs, la responsabilité et le moteur de ses actes.

Le roman est riche et complexe, et je suppose que chacun y verra mis en lumière des éléments, des observations et des analyses qu’il a déjà en lui. Le roman fera miroir à ses propres interrogations qui ne peuvent être les mêmes pour chaque lecteur.

En ce qui me concerne j’y ai vu une analyse et une remise en question de nos désirs. Faut-il cesser de désirer pour vivre et si tel est le cas, ne cessons-nous pas précisément de vivre?

Considérations personnelles

Tous les désirs se valent-ils?

Je regrette que Balzac n’ait pas approfondi son analyse ou sa description des désirs.

J’aurai en effet souhaité que Balzac nuance son propos sur ce point.

Si l’on comprend que les désirs de pouvoir, de richesse, de reconnaissance puissent être nocifs et doivent à cet égard être interrogés, qu’en est-il de désirs qui seraient plus authentiques ?

C’est d’autant plus déroutant que Balzac semble nous mettre sur la voie avec deux protagonistes féminines qui s’opposent d’une manière presque caricaturale. La femme superficielle, vaine, futile, et opportuniste d’un côté et la femme pure et dévouée de l’autre.

Raphael aura des sentiments d’abord pour la première ensuite pour la seconde. Mais ces deux désirs, l’un superficiel et l’autre fondé sur l’amour sont-ils à mettre sur un pied d’égalité ?

Balzac reste muet sur cette question.

Pourtant, comme il le montre lui-même, renier tout désir c’est vivre à l’état végétatif.

N’est-il donc pas illusoire de penser qu’un homme qui n’aurait pas la sagesse d’un Bouddha ou d’un Gandhi puisse vivre sans désir.

Et s’il ne peut pas se résigner à vivre sans désir, tout est-il perdu pour lui ?

En ce qui me concerne, je considère que ce qui pervertit, ce sont les actions inauthentiques que l’on fait pour plaire, être reconnu, acquérir plus de pouvoir.

Dès lors il ne faut pas tels des moines cesser d’agir et de désirer mais tenter le plus possible d’être authentiques. Ecouter notre voix intérieure et lui obéir quelles qu’en soient les conséquences et quoi qu’en pense la société.

Erreur et rédemption

Je regrette également le côté fataliste de la Peau de chagrin.

Il est vrai que Raphael a commis des erreurs. Mais c’est notre lot à tous.

En outre, avancer vers soi, comprendre la vie, son sens, apprendre à décoder le mode, construire sa personnalité, découvrir ses valeurs, son authenticité est un chemin qui ne se conçoit que par l’erreur.

Ce sont les erreurs qui nous permettent d’avancer. De nous comprendre et de comprendre le monde. Il n’y a pas d’authenticité ni de vie authentique sans erreur.

Or, Raphael est condamné et Balzac ne lui offre aucune issue. Comme si aucune rédemption n’était possible.

En cela, Balzac contribue à cette dérive malheureuse qui nous donnent l’illusion que les choses devraient toujours être parfaites, alors que l’erreur fait partie de la perfection.